Le retournement de situation kafkaïenne, faut-il le souligner, associe désormais le mythe fumeux du « printemps européen » à la montée du racisme ordinaire dont le collectif d'associations « Dresde pour tous » est l'émanation de la crise en Allemagne, souffrant dans certaines régions de l'Est des aléas du chômage et de la malvie et baignant à l'Ouest d'une opulence rarement vécue par les autres pays de la vieille Europe. L'Allemagne qui tremble des ses fondements politiques et identitaires est aussi confrontée aux fractures sismiques de la société divisée en camps antagoniques. Le record atteint, lundi, par les rassemblements « anti-islamisation », lancés chaque lundi depuis le 20 octobre, se nourrit du dogme désuet du « choc des civilisations » qui a fait le lit du projet impérial des néo-conservateurs travaillant au démembrement du monde arabo-musulman des guerres confessionnelles et du chaos programmé. Il se conçoit, par ailleurs, comme un défi contre le régime de la chancelière Angela Merkel, dénonçant lors de son allocution du nouvel An le « racisme » animé par des gens au « cœur » rempli de « haine et de préjugés », et l'autre Allemagne initiant une vaste contre-mobilisation. De Rostock, l'autre grande victime de l'ex-RDA, à Cologne où l'Eglise catholique a rejeté toutes les formes de discriminations et plaidé pour la liberté religieuse, la riposte contre le Pegida prend de l'épaisseur. A Berlin, plus de 5.000 manifestants, prenant quartier dans l'emblématique porte de Brandebourg, ont réduit à néant les velléités contestatrices des 300 militants de Pegida réunis aux abords de l'hôtel de Ville. Dans les autres grandes villes de Stuttgart (Sud), Hambourg (Nord), Munster (Nord-Ouest), la riposte s'organise contre le Pegida du délinquant Lutz Bachmann reprenant les redondances néo-nazies en matière de durcissement des lois contre les immigrés délinquants, des conditions d'accueil des demandeurs d'asile et de répression policière. Les vieux démons inquiètent la société allemande, réfutant majoritairement (les 2/3 selon un sondage d'opinion réalisé par l'institut Forsa pour le journal Stern et publié le 1er janvier) les thèses de « l'islamisation » de l'Allemagne devenue la première destination d'immigration en Europe. Dans la classe politique, le message de fermeté de Merkel est relayé par le président Joachim Gauck, rassuré par le refus de l'isolement de l'Allemagne, et le ministre de la Justice, le social-démocrate Heiko Mass, prenant la tête de la marche de Brandebourg et qualifiant de « honte pour l'Allemagne » le fait que « les manifestants (anti-islam) se tiennent aux dépens des réfugiés qui ont justement tout perdu et nous demandent de l'aide ». Pour le président de la fédération de l'industrie, Ulrich Grillo, exprimant les craintes des représentants de la première économie européenne face aux « manifestations du lundi », il est incontournable que « nous sommes depuis longtemps un pays d'immigration et nous devons le rester ». Face à « l'agitprop » du mouvement populiste, ancré dans l'Est où vit seulement une communauté de 2% d'émigrés, les peurs sociales investies par le Pegida reflètent, selon le président du Conseil central des musulmans d'Allemagne, Ayman Mazyek, « le fossé toujours grandissant entre pauvres et riches ». En outre, comme le fait remarquer judicieusement le chercheur au Cirac, Werner Zettelmeir, « la conjoncture internationale fait qu'une peur de l'islamisme peut préoccuper les gens ». Ah, l'alibi du Daech alimentant l'extrémisme européen !