Dans les montagnes, les vallons, les plaines et la côte où vivent les tribus de Beni Menaceur, Beni Frah, Beni Houa, Beni Menad et chez les Ichenwiyen, Yennayer en tant que repère calendaire regorge de symboliques à la fois sociétales, économiques, traditionnelles et identitaires. Dans ces contrées, les personnes les plus âgées, et aussi loin que puissent remonter leurs souvenirs, racontent que le jour de l'an amazigh a de tout temps jalonné leur vie, même à l'époque coloniale. « Enfant déjà, et malgré la pauvreté qui caractérisait notre quotidien, j'attendais avec impatience Yennayer, car ce jour-là, on a droit à un repas amélioré et à des friandises. Le tout dans une ambiance de fête qui nous fait oublier nos conditions de vie difficiles », se souvient un octogénaire, habitant Menaceur, une région berbérophone. « Pour mes parents, mes grands-parents et les anciens du village, il était inconcevable de ne pas célébrer Yennayer, une occasion d'invoquer Dieu pour que la récolte soit abondante », témoigne-t-il. « Chez nous, Yennayer est, sur le plan socioéconomique, une date d'une importance capitale, car elle représente le début de l'année agraire. Par le passé, particulièrement avant l'indépendance, nos aïeuls avaient invariablement auguré la nouvelle année dans la joie et la fête. C'était un rite, un bon présage pour que la pluie soit abondante », souligne Belaribi, un habitant de Menaceur. Cependant, au-delà du présage, Yennayer immortalise un patrimoine immatériel et redonne naissance à chaque fois que l'on célèbre des traditions ancestrales qui consolidaient, durant la période coloniale, la dimension identitaire nationale face aux tentatives de la politique d'acculturation des envahisseurs. Indirectement donc, Yennayer fut un vecteur d'un patrimoine pluriséculaire et un rempart culturel à toute velléité d'assimilation. Après l'indépendance, la célébration de Yennayer n'a pas été délaissée. Elle continue à nos jours d'apporter joie et bonheur. « Pratiquement on a gardé les mêmes traditions. Le repas de Yennayer réunit l'ensemble des membres de la famille. Les mêmes jeux et les mêmes rites comme ceux d'avant meublent la journée et la nuit du nouvel an », affirme Abdellah. Selon lui, des jeux remontant à des époques lointaines sont ressuscités à l'occasion de Yennayer. Petits et grands y participent. « Le dîner de Yennayer est composé essentiellement de berkoukes, de viande de poulet égorgé le jour même ainsi que des boulettes de semoule et d'herbes aromatisées (kouirates) accompagnées de sauce », dévoile Belarbi. Après le dîner, la famille participe à un rite bien particulier. « Si un nouveau-né dans une famille n'a pas encore fêté Yennayer, on le place dans une sorte de plateau au milieu de la maison. Ensuite on remplit le plateau de différents types de friandises et de fruits secs, à l'instar de figues sèches, de fruits de bois et des bonbons. Les friandises seront distribuées aux membres de la famille, aux amis et aux voisins. Ensuite, les plus âgés de la famille font des prières pour que l'année qui s'ouvre apporte bonheur et abondance à la famille et à toute la région », souligne-t-il.