Photo : Slimene S.A. «L'enchaînement des événements et les circonstances m'ont placé à la tête du GPRA. Je n'ai pas recherché ni convoité cet honneur. Je n'ai aucun goût particulier pour l'exercice du pouvoir. Au demeurant, ce pouvoir n'a de prise que lorsqu'il est exercé par-devant un peuple libre. Ce sont les malheurs de notre pays qui m'ont jeté dans l'arène politique (…). «Comment peut-on vivre pour soi quand la détresse des hommes et l'injustice qui les frappent deviennent un spectacle quotidien ?», soutenait Ferhat Abbas dans l'un de ses écrits. L'homme que les historiens qualifient de «visionnaire». Car non content de propulser un peuple colonisé vers l'indépendance, Ferhat Abbas tentait de le projeter vers l'avenir, vers l'après-indépendance, le progrès, la science. «N'a-t-il pas dit que demain se lèvera le jour ?», relève hier Leila Ben Mansour, chercheuse en histoire, lors d'un hommage rendu à Ferhat Abbas au forum d'El Moudjahid, à l'initiative de l'association «Mechaal Echahid» à l'occasion du 25e anniversaire de la disparition du président du GPRA. Son parcours, dit-elle, est marqué par la longévité, la qualité et l'universalité. De 1920 jusqu'à 1962, il a mené un combat sur tous les fronts. Il n'avait que 23 ans quand il a évoqué, pour la première fois, l'éducation des masses. Un élément essentiel pour libérer la masse indigène du moyen-âge. «Il disait que sans éducation, toute action politique est vouée à l'échec. L'éducation pour lui, c'est la connaissance, le développement de l'esprit critique, la réflexion mais aussi l'enseignement des valeurs universelles et islamiques. Préparer les jeunes de demain, hommes et femmes, à être libres, à être indépendants, les pousser vers la science car c'est la science, disait-il, qui donnerait un autre visage à l'Algérie. Et puis, c'est lui qui a convaincu les parents à instruire leurs filles. Car leurs enfants sont nés pour vivre une époque qui n'est pas la leur», rapporte-t-elle. Un homme visionnaire, poursuit-elle, parce qu'il savait que l'éducation allait être au centre des préoccupations du monde entier et c'est le cas aujourd'hui, ici en Algérie comme ailleurs. Il était essentiel pour lui, reprend-t-elle, que le peuple sache pour qu'elle raison il se battait, pour quelle raison il voulait être libre. Il ne voulait pas d'une indépendance anarchique. Il pensait déjà à l'Algérie de demain et à l'ère de l'an 2000. «Ma solidarité avec ces paysans n'est pas seulement affective, elle est biologique. J'ai grandi à leurs côtés. Je sens et je comprends leurs souffrances. Leurs malheurs et leur impuissance m'affligent», assure Ferhat Abbas, dans ses confessions. COMBATTRE LA FRANCE AVEC SON PROPRE LANGAGE Visionnaire aussi, estime l'historien Mohamed Korso, car quand il a dit que «la France, c'est moi, il prévenait l'Hexagone qu'elle n'allait pas rester indéfiniment dans notre pays. «Cette phrase, mal interprétée, a suscité des réactions virulentes de part et d'autre, de la part d'Ibn Badis notamment qui avait peur que les intellectuels algériens ne demandent la nationalité française. Contrairement à ce qu'on nous a enseigné à l'université, Ferhat Abbas n'avait jamais demandé la nationalité française. Et quand il a dit que la France, c'est moi, c'était pour pousser la France à donner leurs droits aux indigènes puisqu'elle les considèrent comme des Français», explique-t-il. Il faut savoir, affirme pour sa part Amar Belkhodja, journaliste et chercheur en histoire, que Ferhat Abbas était un homme pacifique. «Il avait commencé le combat avec le dialogue en utilisant le même langage que la France. D'ailleurs, les journaux dans lesquels il a travaillé, l'Entente franco-musulmane, l'Egalité et l'Algérie Républicaine, tracent en quelque sorte son itinéraire. Après les manifestations du 8 mai 1945, il a pris conscience que les méthodes pacifiques ne servaient à rien et a changé de position, a créé le parti de l'Union démocratique du manifeste algérien avant de rejoindre le FLN», relève-t-il. Par ailleurs, comme Ferhat Abbas était un homme politique, il est tout à fait normal qu'il ait des adversaires. «C'est ce qui explique certaines choses qu'on disait sur lui», déplore-t-il. D'ailleurs, fait savoir le neveu de Ferhat Abbas, Said Masour, le mérite de son oncle a été reconnu dans les années 80 puisqu'il a été honoré par le ministre des Moudjahidine, Bakhti Meniche, à l'époque de Chadli Bendjedid. Cela dit, conclut M. Belkhodja, personne ne doit oublier les paroles de Ferhat Abbas qui a dit : «L'Algérie, hommes et femmes, fit corps avec le Front de libération nationale et revêtit, pour ses noces, un vêtement de combat trempé dans le sang de ses propres martyrs».