Le tribunal criminel d'Alger a écouté, hier, dans le cadre du procès Sonatrach, deux hauts cadres de cette compagnie qui étaient responsables du projet gazoduc GK3 confié à l'entreprise italienne Saipem. Il s'agit de Hocine Chekired, appelé par le tribunal en tant que témoin dans cette affaire, et de son contradicteur, Benamar Zenasni, accusé, qui lui a succédé à la tête de la direction de TRC (transport par canalisations). Le premier responsable est l'initiateur du projet GK3 avant de se voir confier une autre responsabilité, celle de PDG de la compagnie aérienne Tassili Airlines, une filiale du groupe. « Nous étions à la phase d'étude des offres techniques et c'était à Zenasni de continuer la procédure, c'est-à-dire l'étude des offres commerciales, et de signer le contrat. » Mais Zenasni, qui avait déclaré au tribunal qu'il avait constaté que « les prix proposés par Saipem étaient élevés », a précisé qu'il n'avait aucune responsabilité dans cette affaire puisque, selon lui, il avait pris le train en marche. C'est la réponse de Hocine Chekired, hier, selon qui son successeur « aurait pu annuler le projet sans aucune implication financière », qui a poussé les avocats à demander au tribunal une confrontation avec Zenasni. Ce dernier a rétorqué : « Pourquoi il ne l'a pas fait lui ? Aurai-je dû le faire à sa place ? » Chekired, ancien responsable à la direction centrale audit de la Sonatrach, et également membre d'une commission chargée d'aider par des avis et des suggestions la commission des offres, a estimé que Zenasni avait suffisamment de temps, c'est-à-dire quatre mois de négociations avec les partenaires, d'octobre 2009 à mars 2010, pour le faire. A la question du collectif des avocats : quelle aurait été son attitude s'il avait été maintenu à la direction TRC ? Chekired s'est montré évasif dans sa réponse. « C'est difficile de répondre », a-t-il reconnu car en fait on se trouvait devant « une décision financière (les prix élevés) et la décision stratégique » qui impose de continuer le projet en raison des engagements de Sonatrach, de l'urgence. Chekired avait défendu la procédure en expliquant qu'il fallait continuer le projet avec Saipem, l'un des deux soumissionnaires dans le GK3, malgré le fait que la loi exige lorsqu'il n'y a que deux soumissionnaires de « déclarer obligatoirement l'appel d'offres infructueux ». Il a justifié cette pratique par l'urgence et l'accord du PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane. « C'est Mohamed Meziane qui a élaboré la R-15 (la directive interne à Sonatrach sur les marchés, ndlr), il pouvait y déroger », explique-t-il. Mais ce n'est pas systématique, car il y a eu des cas par le passé où « Sonatrach avait décidé d'annuler des marchés avec deux soumissionnaires seulement », selon Chekired qui semble vouloir dire au tribunal que ces projets-là, le GK3 par exemple, étaient exceptionnels. En effet, on s'était aperçus à Sonatrach à partir de 2007 que les deux gazoducs n'étaient pas suffisants et qu'on devait, par ailleurs, « accélérer le développement de toute une région (est du pays), approvisionner le complexe GNL de Skikda ainsi que les deux centrales électriques de Koudiat Draouèche et Skikda. Sans compter le projet algéro-italien, le Galsi ». La directive reste « muette » sur la suite à réserver aux appels d'offres déclarés infructueux Mais pour Chekired, « Sonatrach est une société bien organisée, avec son comité exécutif, son conseil d'administration », et d'expliquer comment sont adoptés les projets au sein du comité exécutif qui « peut aussi les refuser pour manque d'opportunités ». Les comptes sont passés au peigne fin par « quatre commissaires aux comptes, et une structure d'audit effectue tous les trois mois le bilan d'exécution des projets et de consommation de leur budget ». Un rapport annuel est fait à partir de ces données. L'ancien PDG adjoint de Sonatrach est revenu plus en détail sur le nombre de soumissionnaires, pour dire qu'« au départ, une procédure de préqualification avec 23 sociétés a été effectuée et on a eu en tout 11 sociétés pour le lot 1 et 2 et six pour le troisième lot. Seulement, pour ce dernier lot, trois sociétés seulement ont retiré le cahier des charges et deux ont déposé leurs offres ». Chekired avance un autre argument, à savoir que la directive R-15 « reste muette sur les mesures à prendre lorsque l'appel d'offres est déclaré infructueux ». Le représentant de la partie civile a insisté pour savoir si oui ou non l'argent de Sonatrach, ses investissements plus exactement, est lié au budget de l'Etat et donc au Trésor public. La défense demandera au témoin d'expliquer pourquoi la Sonatrach a été exclue de l'application du code des marchés publics. Plusieurs témoins se sont succédé, hier, à la barre, 44 en tout, dont la directrice des affaires juridiques à TRC. Le tribunal l'a interrogée sur la régularité de la procédure de gré à gré dans le projet GK 3. Lamouri Fadhila, qui était présidente de la commission d'ouverture des plis, a déclaré que c'est « le PDG qui a créé la directive, il pouvait en toute logique y déroger ».