De jeunes moustiques mâles croissent et prospèrent dans un laboratoire de la banlieue de Vienne, inconscients du sort qui les attend : être stérilisés en masse pour ne plus pouvoir engendrer la moindre descendance susceptible de transmettre des maladies, comme le virus Zika. C'est l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA), plus connue pour son rôle de gendarme du nucléaire dans des dossiers à haute tension diplomatique, qui perfectionne cette technique dite de l'insecte stérile, dans ses laboratoires de Seibersdorf, à 35 km au sud de Vienne. Le principe semble simple : lâchés en bande sur des zones ciblées, les mâles neutralisés, mais pas chastes pour autant, ont pour mission de séduire les femelles locales. Leur accouplement n'engendrant aucune descendance, la population disparaît par extinction naturelle, à l'issue de conquêtes répétées. La mise en œuvre est plus complexe : il faut d'abord isoler les mâles des femelles puis les stériliser par irradiation, lorsqu'il sont au stade de nymphe, en recourant à l'usage du cobalt 60 ou bien des rayons X, un procédé que peaufine l'AIEA depuis de nombreuses années. « C'est un genre de planning familial pour les insectes », résume Jorge Heindrich, chef de la section de contrôle des insectes parasites de l'organisme, à la tête d'une équipe de chercheurs internationaux. Grâce à cette technique jugée « plus propre » que l'épandage d'insecticide, la mouche du melon a par exemple été localement rayée de la carte à Okinawa (Japon), la mouche tsé-tsé à Zanzibar (Tanzanie), la mouche du fruit dans certaines régions d'Argentine et d'Afrique du Sud. Changer d'échelle Leur quotidien, ce sont des milliers de moustiques vibrionnant dans des boîtes carrées couvertes d'un filet serré, sous la lumière crue des néons. La chaleur est tropicale, l'odeur nauséabonde. Un instant de panique irrationnelle saisit les journalistes en visite lorsqu'un insecte se fait la belle et vient bourdonner autour d'eux. C'est surtout pour les femmes enceintes que le virus Zika représente un danger : il est soupçonné d'entraîner une grave malformation congénitale du fœtus, la microcéphalie. A l'origine d'une grande épidémie en Amérique latine, le Zika provoque sinon, dans la plupart des cas, des symptômes grippaux bénins (fièvre, maux de tête, courbatures). Ce sont les insectes femelles qui transmettent le virus : « Elles ont besoin de sang pour produire des œufs. Les mâles ne se nourrissent que du sucre des fleurs et de nectar », rappelle Rosemary Lees, l'une des chercheuses.