Il est neuf heures, en ce mardi pluvieux. Les boulevards et les ruelles du centre-ville sont inaccessibles, à pied ou en voiture. Une vieille peste contre un automobiliste à qui elle dispute la chaussée « où veux-tu que je marche ? Tu ne vois pas le chantier qui squatte le trottoir ? ». Les échafaudages sont omniprésents sur les principaux boulevards du centre-ville et même dans les ruelles. Difficile, sinon impossible, de trouver une place de stationnement, et là encore, il y a risque de retrouver son véhicule méconnaissable, en raison des travaux de décapage, de peinture et de ravalement des façades d'immeuble. Plusieurs véhicules stationnés en portent les séquelles. Dans un café, le gérant essaye de philosopher « elli hab chbah ma ykoul ah » (celui qui veut du pimpant, ne doit pas se plaindre) et de prendre son mal en patience. « Ces travaux vont durer jusqu'à 2017 ou plus. On commence à s'y habituer, même si l'on perd beaucoup de clients qui préfèrent ne pas s'aventurer entre les échafaudages et risquer de recevoir une pierre ou un marteau sur la tête. » Il parlait, évidemment, des clients habituels du café, parce que ceux de passage— qui sont en général plus nombreux—évitent tout bonnement ces lieux encombrés et assombris par les chantiers en cours. Dans un magasin de chaussures, la clientèle se fait désirer. Difficile, en effet, de se frayer un chemin entre toutes ces poutres qui s'étendent jusqu'au milieu de la route. « Si l'on ne fait pas gaffe, on risque de se prendre une barre de fer en plein visage », fait remarquer une vendeuse. Son patron nous raconte qu'il a échappé à une mort certaine. « Un soir, en rentrant chez moi, j'ai eu un câble électrique collé à la tête. Je n'ai dû mon salut qu'à la présence d'un ouvrier dans la cage d'escalier », narre-t-il. La gêne des habitants est palpable. « Je suis privée de balcons et de fenêtres depuis le début des travaux, se plaint une mère de famille. C'est tellement obscur chez moi que je suis obligée d'allumer toutes les lampes à longueur de journée. Je me sens en prison. Je vous épargne les détails sur nos souffrances au quotidien à cause des nuisances sonores et des dégâts de la poussière. Mes voisines, qui ont des personnes malades à charge, ont dû les évacuer ailleurs pour ne pas aggraver leurs cas ». Sa voisine abonde dans le même sens, en ajoutant : « on veut sortir pour respirer l'air frais et voir la vraie lumière, mais avec ces échafaudages, on craint que des voleurs s'introduisent chez nous, alors, dès qu'on décide de sortir, on fait en sorte que quelqu'un garde la maison ». Pourtant, l'opération de rénovation des immeubles de la capitale est loin d'être un simple ravalement de façade ou un embellissement de circonstance. Le parc immobilier du centre-ville, bâti durant l'époque coloniale, a subi d'importantes dégradations au fil du temps et risque, par endroits, d'être rasé carrément de la carte s'il n'est pas vite pris en charge, et de façon professionnelle. Car, au-delà des caractères touristique et environnemental, que toute capitale au monde voudrait prendre en charge et améliorer, il s'agit, surtout et avant tout, de rendre vivables et sûres les habitations des Algérois et des institutions qui y ont élu domicile. Les raisons du retard Pour comprendre pourquoi les travaux traînent, il faudrait revenir au début. Les études et autres diagnostics faits pour établir le cahier des charges n'étaient pas matures, donc erronés, puisqu'ils ne reflétaient pas l'état réel des lieux. L'opération concerne la réhabilitation de pas moins de 14.767 immeubles, soit 76.845 appartements. Le programme de réhabilitation du vieux bâti est scindé, dit-on, en plusieurs phases. La plus urgente concerne le centre-ville d'Alger. Viendra, ensuite, le tour des communes abritant des ensembles urbains datant de l'époque coloniale. Outre le ravalement d'immeubles lancé en 2013 et 2014, d'autres parties communes vont être rénovées, notamment les terrasses et les escaliers. Quelque 148 immeubles ont été déjà livrés et achevés. Le taux d'avancement global est estimé à 35, voire 40% dans certains quartiers. Le défi consiste à redonner des couleurs et préserver les formes initiales de l'architecture première et originelle. L'état de délabrement des lieux est beaucoup plus avancé. La première contrainte qui a retardé le déroulement des travaux est incontestablement les études et les diagnostics qui ont servi de document de base pour la suite des travaux. Ces derniers étaient incomplets ou contenant des éléments d'informations insuffisants. Pourquoi les expertises faites sont fausses ? Le travail élaboré pour diagnostiquer tous les immeubles qui présentent des signes de délabrement n'était pas suffisamment renseigné. Cela n'est pas dû à la négligence ou à l'incompétence des experts engagés, mais à l'élaboration d'une cartographie qui contenait uniquement ce qui est visible sur la façade extérieure. En lançant le chantier, les entreprises retenues, étrangères ou nationales, se sont aperçues que l'état de délabrement est très avancé, notamment les cages d'escalier. Au fur et à mesure que les travaux avançaient, les techniciens se heurtaient à des cas qui nécessitaient une réfection plus approfondie. Pour l'exemple, certains poliers montants sont fissurés, l'armature des poutrelles est apparente et des solives sont avariées. L'intervention devra toucher l'étanchéité et parfois la toiture. L'opération d'enlèvement des antennes paraboliques, qui défiguraient le paysage, s'est avérée un véritable casse-tête. En effet, tout comme celle consistant à installer des citernes, les entreprises étaient confrontées à moult difficultés, à commencer par l'état dégradé des toitures qu'il fallait, donc, refaire, et parfois libérer des indus-occupants qui squattaient les terrasses. Les experts se sont contentés de simples constats extérieurs, puisqu'il leur était impossible d'accéder à l'intérieur des appartements pour constater les dégâts des planchers et des poutres ou des murs porteurs, surtout en ce qui concerne les plus anciennes bâtisses. Il faudra alors commander d'autres études qui devront aller au fond des choses afin de mener à bien, cette fois-ci, les opérations. Les immeubles, même en chantier, continuent, en outre, à assumer leurs fonctionnalités d'habitation et lieu d'hébergement. Ce n'est pas évident de pouvoir accomplir son travail dans pareilles conditions, d'autant plus que les entreprises sont souvent appelées à prendre en charge tous les problèmes qui pourraient surgir durant la période des travaux. Même si, au niveau de la wilaya d'Alger, on continue à parier sur la réception des chantiers d'ici la fin de l'année, il est difficile d'imaginer que ce délai soit respecté en raison de toutes les difficultés rencontrées par les entreprises sur le terrain. Et ce sont les habitants, les commerçants et les passants qui continueront d'en souffrir.