Les Tunisiens éliront une Assemblée nationale constituante (ANC) le 24 juillet prochain. Selon Foued Mebazaa, le président par intérim, cette assemblée qu'il qualifie de «premier pas sur la voie de la démocratie» élaborera une Constitution post-Ben Ali. «Nous proclamons aujourd'hui l'entrée dans une nouvelle ère (...) dans le cadre d'un système politique nouveau qui rompt définitivement avec le régime déchu», dit-il dans un discours à la nation prononcé jeudi soir, prenant le soin de démentir ceux qui le donnaient partant dès le 15 mars prochain, date de la fin de son mandat intérimaire. «Je m'engage (...) à poursuivre ma mission à l'expiration du délai du 15 mars», dit-il. «Que tout le monde sache que le rétablissement de la sécurité ne sera pas une affaire facile», dit-il appelant «implicitement» à dépasser la situation héritée de l'ancien régime qui «a sucé le sang du peuple, avalé son argent et ses acquis» et mettre fin aux sit-in et aux grèves. «En l'absence d'un retour à la normale, le pays ira à la catastrophe», avertit-il. «Place au travail et à l'arrêt des sit-in, y compris à la Kasbah», siège du gouvernement, affirme Ali Ben Romdhane, le secrétaire général adjoint de l'Union générale des travailleurs tunisiens, la centrale syndicale, précisant qu'il œuvrera pour aider le nouveau gouvernement de «technocrates» du nouveau Premier ministre Béji Caïd Essebsi pour relancer le cycle économique «au bord du gouffre» et rétablir l'autorité de l'Etat, «tombée à un niveau insupportable». «Le programme est clair, il n'y a plus de flou», estime le syndicaliste. Selon M. Mebazaa, «un système électoral spécial» sera préparé «au plus tard avant la fin du mois de mars». Il sera l'œuvre de la Haute commission pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique qui regroupe désormais selon Yadh Ben Achour, son président, Yadh Ben Achour, deux instances : le Conseil qui est formé de personnalités, de représentants des partis politiques et des organisations de la société civile qui ont participé à la révolution où l'ont soutenue et la Commission des experts. Autrement dit, le Rassemblement démocratique, du président déchu Zine El Abidine Ben Ali que le Premier ministre accuse de «haute trahison» pour «avoir fui» le pays alors qu'il est «le commandant en chef des forces armées» qui est suspendu en attendant sa dissolution par voie de justice ne sera pas consulté. Le Conseil de la protection de la révolution, un collectif en cours de formation regroupant 14 partis politiques, l'UGTT dont le secrétaire général, Abdessalem Jrad désapprouve la nomination de Béji Caïd Essebsi, ex-ministre des Affaires étrangères de Habib Bourguiba, «père» et premier président de la Tunisie indépendante, saluera-t-il la dissolution implicite de l'actuelle Constitution qui non seulement «ne répond plus aux aspirations du peuple après la révolution» du 14 janvier mais «constitue un obstacle à des élections transparentes» et le programme pour les moins à venir du nouveau Premier ministre qui pourrait décliner en trois axes clés : transparence, engagement et confiance ? Le successeur de Mohamed Ghannouchi à la primature réussira-t-il à arrêter la cascade de démissions ? La position de l'armée dépend des réponses à ces deux questions. «Une prise en main du processus électoral par l'armée qui dit que son travail est de protéger la révolution est un scénario probable», estime Mohamed El Katiri, spécialiste du Moyen-Orient à l'Eurasia Group. D'autant que, les partisans de l'ancien régime paraissent relever la tête, le mouvement islamiste Ennahda, interdit sous l'ère Ben Ali, peut activer ouvertement, les violences n'ont pas cessé (184 blessés, dont 4 grièvement, depuis mardi soir à Ksar Hellal, centre-est). Toutes les informations émanant des chancelleries occidentales en Tunisie confirment que le patron de l'armée, le général Rachid Ammar, est exaspéré par l'incurie des politiques, incapables de s'entendre sur une feuille de route. Il n'exclut pas, dit-on, de faire réapparaitre l'armée en force, dans les prochains jours, pour mettre fin au chaos qui menace de placer la Tunisie en cessation de paiement. Nejib Chebbi, le ministre du Développement régional démissionnaire, qui, en annonçant mardi son départ du gouvernement, n'a-t-il pas dit craindre que « certains, consciemment ou inconsciemment, ne déblayent la voie à un échec de la révolution, pacifique jusqu'ici, au profit d'un putsch militaire» ?