Des historiens, à l'instar des Anglais Jim House et Neil MacMaster, qualifient l'évènement de « la répression d'Etat la plus violente qu'ait jamais provoquée une manifestation de rue en Europe occidentale dans l'histoire contemporaine », comme le rappelle l'historien Gilles Manceron dans les colonnes du journal Le Monde en 2011. Les archives, les témoignages et les travaux d'historiens abordant les massacres du 17 octobre 1961 sont sans équivoque. Ils relatent des scènes insoutenables, des exactions sans distinction de sexe ou d'âge et une omerta à tous les niveaux de l'appareil politique français. Ils étaient entre 30.000 et 40.000 manifestants algériens à battre le pavé des grandes artères et places de la capitale française ce jour-là. Les Algériens qui vivaient alors à Paris, eux qui pour l'écrasante majorité survivaient dans des conditions de pauvreté, avaient décidé de se délier des mesures liberticides décidées le 5 octobre 1961 lors d'un conseil interministériel. Les décisions prises par la haute hiérarchie française interdisaient aux Algériens de circuler la nuit. En effet, un couvre-feu de 20h30 à 5h30 du matin a été institué. Pis, les cafés fréquentés par les Algériens devaient fermer dès 19h et circuler en groupe dans les rues de Paris et de banlieue était formellement interdit. L'exécution de ces décisions a été confiée au sinistre criminel de guerre Maurice Papon qui occupait alors le poste de préfet de police de Paris. A moins d'une année donc de l'indépendance, des Algériens vivant dans la capitale française et sa banlieue furent confrontés aux pires restrictions liberticides. La réaction des opprimés ne s'était pas fait attendre. Loin de toute action irréfléchie ou spontanée et grâce à une mobilisation générale et organisée, la riposte pacifique des Algériens était, pour le moins que l'on puisse dire, une leçon de civisme. La barbarie de la police de Papon avait repoussé toutes les limites de la sauvagerie. Les faits sont là, et l'histoire a retenu que la répression policière du 17 octobre 1961, qui a charrié dans sa folie aveugle des centaines de morts et de disparus ainsi que des milliers d'arrestation arbitraires, est un véritable massacre contre toute une communauté. Et pourtant les organisateurs de la manifestation (les responsables de la fédération de France du FLN avaient tout mis au point pour que la marche se déroule sans incidents. Il était ainsi exigé des manifestants de ne pas porter d'armes ou d'autres objets pouvant causer des blessures, sous peine de sanction. Cette manifestation de masse pacifique ne devait à aucun moment déborder des trottoirs pour ne pas gêner la circulation. Aux fins de garantir une réussite à cette action de masse visant à braver pacifiquement le couvre-feu et les autres mesures de la honte, il a été donné des instructions aux militants de la fédération de transmettre le mot d'ordre de la marche le jour même de son organisation. Le nombre impressionnant d'Algériens ayant répondu favorablement au mot d'ordre en un laps de temps court dénote, d'une part, de l'efficacité opérationnelle des structures de la révolution en France, et, d'autre part, de l'adhésion extraordinaire de la communauté algérienne établie alors en France à la cause nationale. Une démonstration de force qui n'est pas sans peser sur les négociations menant vers l'indépendance. Les manifestants, qui ont été empêchés par tous les moyens par la police parisienne de converger vers les lieux de rassemblement choisis par les organisateurs, ont subi toutes sortes de sévices. Une ratonnade massive qui a emporté dans l'horreur des dizaines de vies humaines. Les milliers de manifestants conduits de force dans les centres d'identification improvisés pour la circonstance ont été passés à tabac. Les tortures avaient causé de graves blessures à bon nombre de détenus. La répression s'est poursuivie bien après cette longue nuit de massacres. Les actions prévues pour le lendemain et jusqu'au 20 octobre 1961 par les militants de la cause nationale, pourtant pacifiques, ont été également réprimées par la sauvagerie policière. En guise de réaction à ces actes criminels, le ministère de l'Intérieur français s'était alors contenté de reproduire le communiqué de Maurice Papon, attestant, toute honte bue, que la police de Paris a dispersé une manifestation organisée par les Algériens sous la contrainte du FLN. Selon cette version, le bilan est de seulement deux morts et plusieurs blessés. Cette fuite en avant a été rattrapée par l'histoire. Une histoire qui raconte fidèlement un épisode de la barbarie française envers les Algériens et l'Algérie commis depuis 1930.