Dans la Casbah d'Alger, une légende populaire court sur toutes les lèvres. Hommes ou femmes la racontent volontiers, avec seulement quelques différences de nuances. Elle est surprenante, venant d'une civilisation dont la réputation de sévérité n'est pas à faire. A sa manière, elle est aussi remarquablement morale. Deux sœurs, ayant hérité ensemble d'une maison d'Alger, vinrent l'habiter. L'une était connue pour sa vertu. La destinée de l'autre l'avait conduite à devenir courtisane. La plus sage habitait l'étage. La courtisane, wast eddar (patio). Elles partageaient la terrasse avec son minzah (séjour) et la cuisine, qui se trouvait aussi tout en haut de l'escalier. Un soir de Ramadhan, la femme «légère» dépendait le linge sec tandis que la «sérieuse» faisait la cuisine. Elle préparait un tadjin au fumet vraiment étourdissant. Une voisine, pauvre et enceinte, parut au bord de la terrasse, et demanda si l'on pouvait lui donner un peu de braise pour allumer son feu. Fatima, la courtisane, vint vers sa sœur et elle prit du kanoun quelques braises, dans une vieille tassa (récipient) à l'étain usé, et la donna à la femme qui partit après l'avoir remercié les yeux baissés. Le fumet du tadjin se répandait de plus en plus, propre à donner de l'appétit aux plus rassasiés. Une seconde fois, la voisine apparut au muret de séparation des terrasses et dit, d'une voix un peu altérée, que son feu ne voulait pas prendre. Voudrait-on lui accorder encore quelques braises ? On les lui donna, dans la même tassa qu'elle avait rapportée, et elle disparut de nouveau dans son escalier. La sage remit des charbons dans le kanoun et éventa le feu pour qu'ils prennent. Après un long moment de silence, face au tadjin en ébullition une épaisse fumée s'éleva du couvercle annonçant la fin de cuisson d'un repas béni qui satisfait les envies de la femme enceinte. De cette fabuleuse histoire naquit la morale de la rahma de proximité envers le voisin, dans wast eddar (cour de maison) les demeures grandes portes ouvertes, uniquement un voile de séparation, indique le sens d'hospitalité entre voisins, la cour faisant fonction de cuisine collective prend en charge tous les kanoun avec tajin à découvert pour que les voisins puissent s'échanger des plats et permettre aux démunis de passage à venir rompre le jeûne dans la convivialité. Cette idyllique histoire Kasbadji continue d'alimenter les longues veillées du Ramadhan, non loin de la rue N'fissa, la légende raconte que Lallahoum (la première dame) à élu domicile dans une humble douera devenue asile pour nécessiteux.