Mai de la victoire sur le nazisme. Mai de l'horreur et des massacres mai du bonheur dans les capitales européennes. Mai du malheur chez les colonisés, les damnés de la terre. Mai des confettis, des bals et de la joie. Mai de la mort, de la peur et des enfants en pleurs. Mai d'un Paris lumineux, libéré du bruit des bottes. Mai de Guelma martyre dont les enfants furent exterminés par l'armée et la milice, toutes deux françaises de nationalité. Mai de Charles de Gaulle libérateur de la France. Mai d'André Achyari qui massacre au nom de la république, au nom du glorieux chef de la résistance. Mai de la haine et la lâcheté des miliciens qui violent et assassinent, assistés et encouragés par l'année française dans une besogne inhumaine et déshonorante. Guelma, la ville des frères Seridi vit des moments dramatiques en ces jours de Mai 1945. Zohra Reggui, toi l'héroïne, toi la martyre, nous évoquons aujourd'hui ton nom et nous implorons le jeunesse de le garder jalousement en mémoire. Zohra, tu avais à peine trente ans. Tu étais cette belle Guelmoise qui savait lire et écrire tant en arabe qu'en français. Elle étaient bien rares les jeunes filles dans ton cas et bien sûr la majorité de nos enfants étaient privés d'instruction. Tu adhéras aux Amis du Manifeste et de la Liberté et dans cet enthousiasme massif tu fis profiter de ton savoir plusieurs jeunes filles de la cité. L'ordre colonial va arrêter net l'élan populaire et le puissant mouvement des A.M.L va périr à partir du 8 Mai 1945 dans le sang par la haine des ennemis de la Liberté. Et alors c'est l'horreur qui va régner dans les murs de Guelma. Les vaincus et les collaborateurs de l'hitlérisme vont se distinguer par «un héroïsme à bon marché» (formule si chère au regretté docteur Abdelaziz Khaldi). Ils vont s'acharner contre un peuple désarmé. Enlèvements et assassinats collectifs vont devenir un spectre. Guelma va sombrer dans un climat de terreur. Une véritable chasse aux Algériens lettrés va être organisée. Elle va être dirigée contre tous ceux qui sont réputés être «instruits », c'est-à-dire les élément des A.M.L, des S.M.A et des médersa libres. Et toi Zohra bien sûr, tu était une cible tout désignée. Tu es enlevée de ton domicile par des miliciens sanguinaires, haineux de l'arabe et qui vont donner libre cours à leurs instincts barbares et meurtriers. Et toi Zohra tu vas vivre les moments les plus pénibles, les plus atroces, les plus humiliants. Car pendant que les jeunes filles de ton âge reçoivent les bouquets de fleurs. Dans les rues de Paris fraîchement libéré, toi Zohra, tu subis les pires assauts des miliciens furieux, lâches et pitoyablement « décivilisés». Ils s'en prennent d'abord à ta chevelure, ta belle chevelure, parce qu'ils savent quelle souffrance ils vont te causer en t'arrachant les cheveux. De tristes actes commis par de tristes individus, ils ne s'arrêtent pas là. Pendant plusieurs journées, ils te font subir d'atroces séances de tortures. Tu symbolisais cette grande Algérie qu'ils s'acharnaient à faire taire à jamais. Tu resteras digne et courageuse . Et parce qu'ils ne sont pas parvenus à te faire fléchir dans leur fureur bestiale, ils n'hésiteront pas à te faire subir les derniers outrages. Quels douloureux moments pour toi que d'être souillée par de vils individus que l'histoire doit condamner sans répit, pour que sache la postérité, pour que s'indigne la conscience humanitaire. Le 19 Mai 1945, tes tortionnaires qui jouissent tous les jours du meurtre collectif, viennent devant ta geôle. Tu as mal partout dans le corps. Tu n'as plus de cheveux, ou presque plus. Tu es déjà assassinée. Une femme violée est morte moralement. Car on a porté atteinte à ton honneur. On a assassiné ton honneur. Les miliciens assassins avaient décidé de t'éliminer physiquement. Tu les regardes avec mépris. Ils t'emmènent à quelques kilomètres de Guelma, au lieu dit «la Fontaine chaude », tout près de la source thermale de Hammam Meskhoutine. Mais quel exploit vont ils encore commettre ces assassins de femmes et d'enfants ? Ils ont juré d'exterminer quiconque porte la connaissance et l'instruction ou sympathise avec le mouvement nationaliste, tous courants confondus. Ils se sont formés en peloton d'exécution et s'apprêtaient à te transpercer le corps, déjà meurtri par la torture. Ils ont également tenté de te mettre un bandeau sur les yeux. Ils ne savaient pas que tu avais vaincu la peur dès les premiers instants de ton arrestation. Alors, forte de ton patriotisme, de ton courage et de ta dignité, tu déchiras le bandeau et crias à leur face, «Allah Akbar ! Vive l'Algérie». Les coups de feu de la honte crépitent et les balles s'enfoncent dans ton corps frêle et déjà blessé. Repose en paix Zobra. Tu symbolises l'honneur, la dignité, la foi et le sacrifice. Il ne faut pas que tu sois une martyre oubliée. Car assez longtemps, à Guelma, on disait que tu étais Echahida El Mensia .... (*) journaliste - auteur.