C?est une ville déchaînée qu?ont découverte, hier, les journalistes venus couvrir la visite d?inspection et de travail que devra effectuer, à partir d?aujourd?hui, le président de la République. Des centaines de jeunes dont l?âge varie entre 14 et 25 ans se sont rassemblés en début de matinée devant le siège de la wilaya de Ouagla avant de se livrer à des actes de vandalisme en détruisant tout sur leur passage. N?eût été l?intervention rapide des forces antiémeutes, les manifestants auraient pu prendre d?assaut le siège de la wilaya. Les jeunes insurgés, dispersés à coups de bombes lacrymogènes et de tirs de sommation par les éléments des CNS, ont fui vers les quartiers périphériques d?où ils ont continué à jeter des pierres contre les forces de l?ordre. Les manifestants s?en sont pris aux édifices publics et ont saccagé une succursale d?El Khalifa Bank, quoique fermée, comme ils ont détruit une habitation qui aurait servi de maison de rendez-vous. Des pneus ont été aussi brûlés, des bancs publics complètement arrachés et les lampadaires détruits, même les portraits du président Bouteflika n?ont pas échappé à la fureur juvénile, la ville donnait, hier après-midi, un air de désolation. Quatre blessés parmi les jeunes ont été enregistrés. «On s?était rassemblé devant la wilaya dans le but de remettre pacifiquement une plate-forme de revendications aux autorités, mais aucun responsable n?a daigné venir à notre rencontre. Excédés par le mépris et la hogra, nous n?avons pu contenir notre colère», raconte un émeutier de 21 ans. Une manifestation similaire a été organisée jeudi dernier sans que les protestataires aient pu parvenir à transmettre leurs doléances à qui de droit. Les manifestants, formés par une majorité de chômeurs, revendiquent du travail à Hassi Messaoud, le champ pétrolifère le plus célèbre d?Algérie, situé à 80 km du chef-lieu de wilaya. «On veut des emplois, les portes ici ne sont ouvertes qu?aux gens du Nord. Nous, on nous impose un laissez-passer. Une pièce destinée à exclure les citoyens de deuxième zone», déplore un émeutier, pierre à la main, l?âge de l?enfance, 13 ou 14 ans. «On ne vaut pas grand-chose même chez nous, enchaîne Hakim qui se présente comme un universitaire à la faculté de lettres arabes, obligé de voler pour payer mes études. Nous ressentons la pire des hogras, alors que nous endurons la misère, Sonelgaz se permet de gonfler notre facture d?électricité.» Karim, un ex-ingénieur en forage pétrolier aujourd?hui au chômage, fustige l?actuel ministre de l?Energie et des Mines. «Chakib Khelil trouve que l?Algérie a perdu une somme symbolique quand il a parlé de 800 millions de dinars de pertes générées par l?explosion qui a eu lieu au complexe GNL de Skikda, il ne sait pas que rongés par le sous-développement, nous avons tout juste besoin de 1 million de dinars.» «Nous saisissons l?occasion de la visite de Bouteflika, car nous considérons que c?est la seule façon de nous faire entendre», affirme ce père de famille, sexagénaire venu soutenir ses «enfants». «Bouteflika est le bienvenu, ajoute-t-il, mais sachez que les citoyens n?ont pu bénéficier des 7 000 logements de Touggourt dont la construction a été achevée il y a trois années. L?inauguration de ces logements est d?ailleurs programmée au cours de la visite du chef de l?Etat. Vous imaginez, les gens ont contemplé trois ans durant ces appartements sans pouvoir y prétendre.» La révolte, en tout cas, se lisait hier sur tous les visages et les jeunes Ouarglis promettent de chahuter la visite de Bouteflika pour que l?ensemble de l?Algérie, disent-ils, prenne connaissance de leur calvaire.