Le capitaine Crosbie sortit de la banque avec l'air satisfait d'un monsieur qui vient d'encaisser un chèque et qui a découvert du même coup qu'il restait dans son compte un peu plus qu'il ne croyait. Petit et trapu, le capitaine avait le visage assez rouge et une moustache au poil hérissé, d'aspect très militaire. Il marchait avec une certaine assurance. II s'habillait peut-être de façon un peu voyante, mais il aimait les bonnes histoires et les hommes le trouvaient sympathique. Cordial, pas très distingué, mais aimable. Célibataire, de surcroît. Au total, quelqu'un qui n'avait rien de particulièrement remarquable. Il y a des tas de Crosbie en Orient. Il était dans Bank Street, une rue ainsi nommée parce que c'était là que se trouvaient la plupart des établissements bancaires de la ville. Dans la banque, on travaillait au frais, dans une lumière douce et dans un silence que ne troublait guère que le cliquetis d'innombrables machines à écrire. La rue était en revanche inondée de soleil. On avançait dans la poussière et dans le bruit. Il y avait les appels incessants des trompes d'auto, les cris des petits marchands, hommes, femmes et enfants, qui s'injuriaient pour se réconcilier tout aussitôt. Ils proposaient au passant des sucreries, des oranges, des bananes, des serviettes de toilette, des peignes, des lames de rasoir et bien d'autres choses encore. La circulation était intense : des autos, des chevaux, des ânes et des piétons. Un cri revenait à tout instant : «Balek ! Balek !» C'était Bagdad à onze heures du matin. Le capitaine Crosbie s'arrêta pour acheter un journal à un gamin qui portait sous le bras un énorme paquet de feuilles à peine sorties des presses, puis s'engagea dans Rashid Street, la rue principale qui traverse la ville, parallèlement au cours du Tigre, sur une longueur de quatre milles. Après une nouvelle halte, durant laquelle il parcourut des yeux les titres de son journal, le capitaine se remit en route, fit quelques centaines de mètres, puis tournant à droite il suivit une petite ruelle menant à une grande khan, une vaste cour, au fond de laquelle il y avait une porte avec une plaque en cuivre. Il l'ouvrit et se trouva dans un bureau. Un jeune secrétaire irakien quitta sa machine à écrire et vint vers lui avec un aimable sourire. — Bonjour capitaine ! Je puis vous être utile ? — Mr Dakin est chez lui ?... Parfait ! Je connais le chemin... II ouvrit une porte, grimpa un escalier fort raide, suivit un couloir qui aurait eu besoin d'un sérieux nettoyage, et vint frapper à une autre porte. Une voix répondit : «Entrez !» Dans cette pièce, haute et presque nue, les fenêtres étaient masquées et l'électricité allumée. On y remarquait un long divan très bas et surchargé de coussins, une petite table portant un réchaud à essence et une casserole pleine d'eau. Au fond un grand bureau en désordre. L'homme assis derrière ce bureau portait des vêtements déformés et semblait très las. Son visage présentait la résignation d'un type qui a raté sa vie. (à suivre...)