Regret Jadis, c?était l?éden, aujourd?hui, c?est pire que l?enfer, se lamentent les habitants de la cité Les Palmiers, située à quelques encablures de Bachedjarah. L?immeuble X est crasseux. Des ordures s?amoncellent et prennent la forme d?une montagne. Des mares d?eau boueuse. Un ramassis de ferraille. Excusez du peu? «Je n?ai plus revu les pinceaux, le vernis et la laque depuis très longtemps», se lamente un locataire, une dizaine de baguettes de pain en main dont le poids a failli lui faire perdre l?équilibre, devant une flaque d?eau boueuse, juste à l?entrée d?une cage d?escalier obscure. «Vous êtes journaliste ? Ecrivez-le alors? Ils ne viennent pratiquement jamais, mais quand il s?agit d?envoyer les factures d?eau, de gaz et d?électricité, ils ne nous oublient pas.» Ce «ils» renvoie, évidemment, aux «élus du peuple» auxquels sont faits plusieurs griefs. «Les bâtiments n?ont plus été repeints depuis belle lurette, les éboueurs ne viennent que très rarement, il n?y a pas d?aire de jeux pour nos enfants, les évacuations d?eau sont vétustes, il n?y a pas de parking», se lamente-t-il dans un français «désordonné» à l?image de l?état de délabrement total dans lequel se trouve la cité. «Les responsables de l?APC ne daignent même pas venir jeter un coup d??il. Et pourtant, nous sommes là, nous existons et nous payons nos impôts.» Un jeune surexcité et apparemment très à l?aise quand il s?agit de vider son sac pour tirer à boulets rouges sur les «élus du peuple», s?est manifesté et s?est proposé de nous servir de guide. Ce bâtiment X fait partie de ces squelettiques immeubles de la cité Les Palmiers, un îlot de vieilles bâtisses situé dans la commune de Bachedjarah, datant de 1958 et érigées dans le cadre du «Plan de Constantine» instauré par le général De Gaulle. Que dire des locataires ? «En l?absence de l?Etat, il faut ajouter aussi le laisser-aller des citoyens. Apparemment, ils ont d?autres chats à fouetter?», reprend le vieux devant notre guide subitement effacé. Celui-ci fait partie des rares locataires de la cité qui parlent ouvertement quand il le faut. Femmes et hommes prennent d?assaut une camionnette de pomme de terre. Les 35 DA le kilo font des émules. «Ah, le ventre !», lance rageusement notre interlocuteur. Des écoliers en bas âge, eux, font la queue pour passer un petit pont de quelques centimètres de largeur pour éviter la boue alors que sous les immeubles, des jeunes, adossés aux murs, échangent quelques joints en scrutant d?un ?il malin et sans retenue bodies et jeans serrés. Soudain, un sachet d?ordures tombe à quelques centimètres de nous, comme du napalm. Le vieux n?en revient pas. «Voilà, c?est en direct», ironise-t-il avant d?aller, sur ses frêles jambes, escalader les quelques marches dans un noir absolu. Agressions au quotidien, montagnes d?ordures, des kilomètres de linge étalé et disputant «humidement» la vedette à la forêt de paraboles, cages d?escaliers obscures et donnant l?air d?exécrables trous de souris? Décidément, le décor n?est pas du tout beau à voir dans une cité incapable, depuis un bail, de contenir les dures années de dégradation. Surtout depuis que l?exode rural a précipité le débarquement d?autres «immigrants» et leur lot de manières importées. «Il ne manque que du cheptel ici...», lance le jeune sarcastique. «Si vous trouvez une cité comme celle-là, vous me le faites savoir?», enchaîne un autre vieux qui, depuis le «Plan de Constantine», en a vu pratiquement de toutes les couleurs. «Au début, c?était presque l?éden. La cité méritait bien son nom : les Palmiers. Les camions des éboueurs venaient tous les jours ; la propreté était l?affaire de tout le monde. Il y avait le bon voisinage. Aujourd?hui, il n?y a rien de tout cela. Les mentalités ont bien changé, c?est tekhti rassi? et c?est cela le plus grave et le plus répréhensible», ajoute-t-il l?air franchement désolé de voir le cadre de vie chamboulé. Un autre habitant de la cité donne une explication «sociologique» de la dégradation. «Quand vous avez des personnes de souches différentes, venues de régions différentes, il est très difficile de les faire cohabiter. L?exode rural a enfanté des styles de vie mi-ruraux, mi-citadins. Cette nouvelle façon de vivre a engendré ces mille et un problèmes sociaux», nous fait-il savoir dans son franc-parler de sexagénaire, visiblement bien informé des changements des mentalités et des m?urs.