Une dame avait une fille si belle, que les passants, quand ils l'apercevaient, s'arrêtaient pour la regarder. Mais la mère avait elle-même des prétentions à la beauté et elle était jalouse de sa fille. Elle lui défendit de se montrer en public ; cependant on l'apercevait quelquefois, on parlait toujours de sa beauté ; elle résolut de la faire disparaître tout à fait. Elle fit venir deux individus auxquels elle croyait pouvoir se fier et elle leur dit : — Je vous promets beaucoup d'argent et le secret, si vous faites ce que je vous dirai. L'argent, le voilà tout prêt. Il sera à vous quand vous aurez accompli mes ordres. Acceptez-vous ? La somme était considérable. Ceux auxquels elle s'adressait étaient pauvres ; ils acceptèrent. — Vous jurez de faire tout ce que je vous dirai ? — Nous le jurons. — Vous emmènerez ma fille ; vous la conduirez dans une forêt loin d'ici et là vous la tuerez. Pour preuve que vous aurez exécuté mes ordres, vous m'apporterez, non pas seulement son cœur, car vous pourriez me tromper, mais aussi ses deux mains. Les hommes protestèrent. — Vous avez promis, leur dit-elle, vous ne pouvez plus vous dédire. De plus, vous savez la récompense qui vous est réservée. Je vous attends dans huit jours. Les voilà donc partis avec la jeune fille. On lui dit qu'il s'agissait de faire un petit voyage dans l'intérêt de sa santé. Elle fut bien étonnée du choix de ses deux compagnons de voyage, mais le plaisir de voir du nouveau lui fit oublier cette circonstance. Elle les suivit donc sans inquiétude. Quant à eux, ils ne laissaient pas d'être troublés. La jeune fille s'était toujours montrée bonne pour eux ; elle leur avait rendu divers petits services ; il était bien pénible d'avoir à lui ôter la vie. On chevauche et on chevauche dans les bois. On arrive enfin à un endroit bien désert. Les hommes s'arrêtent et font connaître à la jeune fille l'ordre de sa mère. — Est-ce que vous aurez la cruauté de me tuer ? leur demanda-t-elle. — Nous n'en avons pas le courage ; mais comment faire ? Nous avons juré de rapporter à votre mère votre cœur et vos mains. Le cœur, ce ne serait rien ; celui des bêtes ressemble à celui des hommes ; mais vos mains, nous ne pouvons tromper votre mère là-dessus. — Eh bien ! coupez-moi les mains et laissez-moi la vie. On tue un chien, on lui enlève le cœur ; cela suffira. Quant aux mains, il faut bien se résoudre à les lui couper. On se procure d'abord de cette herbe qui arrête le sang ; puis, l'opération faite, on bande les deux plaies avec la chemise de la jeune fille ; on emporte les mains et on abandonne la malheureuse victime dans le bois, après lui avoir fait promettre de ne jamais revenir dans le pays de sa mère. La voilà donc toute seule dans la forêt. Comment se nourrir sans mains pour ramasser les objets, pour les porter à sa bouche ? Elle se nourrit de fruits, qu'elle mordille comme elle peut ; mais les fruits sauvages ne sont guère nourrissants. Elle entre dans le jardin d'un château et là elle mordille les fruits qu'elle peut atteindre, mais n'ose se montrer à personne. On remarque ces fruits mordillés. Presque tous ceux d'un poirier y sont déjà passés. On se demande qui a pu faire cela ; un oiseau peut-être, mais encore quel oiseau ? (A suivre...)