Résumé de la 3e partie - L'Ombre dit à son ancien maître que dans la maison d'en face, elle a découvert la poésie... Je me trouvai dans une antichambre où régnait comme une sorte de crépuscule ; la porte qui était ouverte donnait sur une longue enfilade de superbes appartements qui communiquaient tous entre eux ; la lumière y était éblouissante, et m'aurait infailliblement tuée si je m'y étais aventurée. Mais provenant de vous, j'avais suffisamment de votre sagesse pour rester à l'abri et tout observer de mon petit coin. Dans le fond je vis la Poésie, assise sur son trône. — Et ensuite ? interrompit le savant. Ne me fais pas languir. — Je vous l'ai déjà dit, reprit l'Ombre, j'ai vu défiler devant moi tout ce qui existe : le passé et une partie de l'avenir. Mais, entre parenthèses, je vous demanderai que vous cessiez de me tutoyer. J'en fais l'observation, non par orgueil, mais en raison de ma science maintenant si supérieure à la vôtre, et surtout à cause de ma situation de fortune, chose qui, ici-bas, règle partout les relations de société. — Vous avez parfaitement raison, dit le savant. Excusez-moi de ne pas y avoir songé. Mais continuez, je vous prie. — Je ne puis, reprit l'Ombre, que vous répéter : j'ai tout vu et je sais tout. — Mais enfin, dit le savant, ces magnifiques appartements, comment étaient- ils ? Etait-ce comme un temple sacré ? ou bien s'y serait-on cru sous le ciel étoilé ? ou bien encore dans une forêt mystérieuse ? Ce sont là les lieux où nous aimons à supposer que demeure la Poésie. — Maintenant que j'ai tout vu et que je connais tout, dit l'Ombre, il m'est pénible d'entrer dans les menus détails. — Apprenez-moi au moins, dit le savant, si dans ces splendides salles vous avez aperçu les dieux des temps antiques, les héros des âges passés ? Les sylphides, les gentilles elles n'y dansaient-elles pas des rondes ? — Vous ne voulez donc pas comprendre que je ne puis vous en dire plus. Si vous aviez été à ma place, dans ce séjour enchanté, vous seriez passé à l'état d'être supérieur à l'homme ; moi qui n'étais qu'une ombre, j'ai avancé jusqu'à la condition d'homme. Or le propre de l'humanité c'est de faire l'important, c'est de se prévaloir à l'excès de ses avantages. Donc il est tout naturel qu'ayant tout vu, je ne vous communique rien de ma science. J'ai d'autant plus de raison de montrer quelque hauteur, qu'étant dans l'antichambre du palais, j'ai saisi la ressemblance de mon être intime avec la Poésie : tous deux nous sommes des reflets. «Lorsque, devenue homme, j'abandonnai la demeure de la Poésie, vous aviez quitté la ville. Je me trouvai un matin, dans les rues, richement habillée comme un prince. D'abord, l'étrangeté de ma nouvelle situation me fit un singulier effet ; et je me blottis tout le jour dans le coin d'une ruelle écartée.» (A suivre...)