«On s'est retrouvés à 14 dans la rue, avec une pension de ma grand-mère comme seule source de revenu» Ce qu'une main encaisse, l'autre le dépense. Ceci pour dire qu'on a beau voir l'argent couler à flots, rien ne nous garantit un futon doré sur lequel on pourra somnoler à souhaits, une fois venu l'âge de la retraite. Pour ceux qui en douteraient, le témoignage que voici symbolise l'échec dans toute sa splendeur. Un échec nommé Azzeddine Meghraoui. Et oui ! Celui pour qui la JSK a dû casser sa tirelire pour le faire venir s'est retrouvé à la rue avec deux familles à sa charge. Homme de la nuit, fêtard à l'excès, l'ex-joueur du NAHD et de l'USMH n'a pas vu les jours défiler. L'onirisme fut court, car vite supplanté par une réalité amère. L'euphorie que l'insouciance ou l'inconscience lui faisait ressentir a laissé place à une neurasthénie délirante. Emouvante est cette histoire que Meghraoui est venu nous raconter, malgré toute la gène qu'il a dû ressentir au moment de mettre à nu une partie de son passé que rares sont ceux qui s'en enorgueilliraient. Un témoignage émouvant qui laisse sous-entendre un appel de détresse que l'ex-joueur avait à peine prononcé. Vous vous êtes carrément éclipsé de la scène footballistique, est-ce un choix délibéré ou une issue que vous n'avez pas choisie ? Disons que c'est par contrainte. J'aurais pu continuer à jouer encore deux trois années. Mais ça ne s'est pas fait. Je suis donc, disons, à l'arrêt forcé. Donc, vous n'avez pas pris votre retraite, vous voulez encore jouer ? Absolument. A 34 ans, je me sens encore les jambes et la volonté nécessaires pour jouer. J'ai encore le niveau de la Ligue 2 au bas mot. Vous n'avez pas trouvé de club preneur, c'est ça ? Pour être sincère, oui. Aucun club n'a voulu de moi. Je suis parti jouer à Khemis El Khechna, puis à Meftah. J'y suis resté un moment, puis j'ai dû quitter. Depuis, je suis à l'arrêt. J'ai essayé de me caser, je n'ai pas honte de le dire, quelque part, mais à chaque fois on me sortait l'argument de la blessure. Ça me suit partout où je vais. Pourtant, je m'en suis débarrassé il y a des années. Je me suis fait opérer et ma guérison s'est faite progressivement. On s'est fait un cliché et on le sort à chaque fois que je propose mes services à un club. A un moment, j'ai dit stop ! J'en avais marre ! Quels sont les clubs qui vous ont rabroué ? Reghaïa et l'OMR. Je suis allé tenter ma chance, mais les portes étaient fermées devant moi à chaque fois. Vous vous dites quoi alors, «je suis tombé si bas !» ? Ça fait mal. Je ne m'imaginais pas être rabroué par des clubs de troisième division, après avoir joué au plus haut niveau. C'est un cheminement qui est allé à contre sens de mes ambitions. J'avais d'autres plans de carrière. Mais bon, c'est le mektoub, je n'y peux rien. Avez-vous renoncé à reprendre ou vous vous donnez encore du temps pour trouver un club ? Je ne renonce pas. J'ai encore l'espoir de rebondir dans un club de deuxième division. J'en ai les moyens. Avec le niveau actuel du championnat, je ne pense pas que cela va être un problème, pour peu que je trouve un club qui me fasse confiance. Je veux faire oublier ces clichés que les gens ont de moi. Vous dites que le cheminement de votre carrière est allé à contre sens de vos ambitions, vous êtes donc le premier à reconnaître que votre carrière est un gâchis ? Je ne le nie pas. Je me voyais aller très loin. Mes plans de carrière ne se limitaient pas à signer à la JSK et jouer en sélection. Je voyais au-delà. Ça a bien commencé pour moi. J'ai connu une ascension rapide. Mais la situation a commencé à décliner dans la précipitation. Le temps est vite passé. Je me suis retrouvé là où j'en suis. Parfois, on ne maîtrise rien. Il faut dire que ma blessure a beaucoup compliqué mon existence. La blessure est-elle la seule cause de cet échec ? J'avoue que non ! C'est un tout. Je n'ai pas été régulier. Je m'étais mis à fréquenter des personnes peu recommandables. Je m'étais laissé embarquer dans des trucs pas très catholiques. J'avais pris le mauvais chemin. Lorsque je m'en étais rendu compte, ma carrière était alors derrière moi. Etait-ce des joueurs ? L'on se souvient que Hannachi était monté au créneau et avait parlé de soirées prolongées et arrosées en boîtes avec Fodhil Dob, il visait juste alors ? Nooon ! Dob n'y est pour rien. C'est un ami de longue date avec qui il m'était arrivé de passer des moments, sans plus. Hannachi prenait trop pour argent comptant ce que lui rapportaient les mauvaises langues. C'était du caquet ! Je fais, en fait, allusion à d'autres personnes que je n'ai pas dû fréquenter. Leur soi-disant amitié m'a tout simplement ruiné ! D'un côté, vous dites que c'est du caquet, et de l'autre, vous reconnaissez avoir, si vous voulez, dérapé, c'est un peu contradictoire, non ? Ça m'a enfoncé. A cause de ces racontars, j'ai été privé des primes de la Coupe de la CAF. Hormis la voiture qu'on m'a octroyée, comme tout le monde, je n'ai pas touché un centime ! Pourquoi ? Bah, on me disait que je ne jouais pas régulièrement et par conséquent, je n'avais pas droit aux primes. On racontait quoi au juste ? Que je me saoulais la gueule jusqu'au matin. Plein de trucs pas bien. Et ce n'est pas vrai ? Je n'ai jamais touché à l'alcool. Ça c'est faux. Vous confessez néanmoins le reste ? Oui. Je m'étais complètement lâché. J'étais, disons, entré des deux pieds dans le monde de la nuit. Les veillées en boîtes s'enchaînaient. C'est devenu une routine, quoi. Tous les jours ? En fait, non. Généralement, c'est après les matchs que je me lâchais. Les jeudis et vendredis, je les passais en boîte. Merakchi aussi avait avoué s'être adonné avec «assiduité» aux veillées nocturnes comme vous lors d'un entretien qu'il nous avait accordé… C'est vrai que je veillais, mais comparé à lui, je suis un enfant de chœur ! (rires). Que voulez-vous dire par là ? Que je n'ai pas touché à tout comme lui. Je ne buvais pas d'alcool. Mon seul vice était les veillées. A Tizi Ouzou ou à Alger ? C'était plus à Tizi. Quand est-ce vous avez commencé à fréquenter ces lieux ? Lorsque j'étais blessé. J'avais fait la connaissance d'un type au Amraoua. On passait beaucoup de temps ensemble. Comme ce n'est pas le temps qui me manquait alors, je me suis laissé embarquer. Etiez-vous le seul joueur à aller souvent en boîte ? On était plusieurs, en fait. Mais on ne parlait que de moi. Peut-être que je n'ai pas su être aussi discret que les autres, c'est tout. Avez perdu beaucoup d'argent ? Pas du tout. Je me contentais d'une bouteille de Coca ! Je dépensais beaucoup d'argent en fringues, mais jamais dans les boîtes. Je ne touchais pas à l'alcool, ni aux autres vices. Dans votre entourage, on n'a pas cherché à vous conseiller de changer de mode de vie ? Si ! Hakim Medane et Hannachi m'ont convoqué une fois au bureau. Ils m'ont répété ce qui se racontait à mon sujet, tout en cherchant à me persuader d'assainir mon hygiène de vie. Et vous avez dit quoi ? J'avais tout nié ! C'est tout ce qui m'était passé par la tête sur le coup. Je n'avais pas réfléchi. Et vous avez continué vos veillées ? Oui. A quel moment vous avez dit «STOP», plus de boîtes, plus de ça ? Lorsque j'avais quitté la JSK. Je suis retourné au NAHD. Trois jours après, l'entraîneur de l'époque, Angelescu, m'avait convoqué pour un tête-à-tête. Il m'avait dit qu'il a entendu des choses me concernant et qu'il espérait que cela n'était pas vrai. Ça m'a interpellé. Je me suis dit : «Je suis mal vu tant que ça !» J'avais alors juré de ne plus recommencer. Ne pensez-vous pas que le mariage est un élément stabilisateur dans la carrière d'un joueur ? Absolument. Si c'était à refaire, je me serais marié avant. Pourtant, je me suis fiancé une semaine avant le fameux match face à la Libye où je m'étais blessé. Je ne me suis marié que dix ans après. Elle vous a attendu tout ce temps ? Oui. Une autre ne l'aurait peut-être pas fait. Des enfants ? Une fille. Etait-elle au courant de vos virées nocturnes ? Non ! Elle n'en savait rien. Vous étiez pourtant considéré comme le plus gros transfert en 99 ? Oui, c'était une offre très alléchante qu'aucun joueur n'aurait refusée, compte tenu des avantages qu'elle m'offrait, matériellement et sportivement parlant. Qui était de l'ordre de… ... 200 millions et un appartement à Tizi Ouzou. Le NAHD a-t-il bénéficié d'une quote-part de ce transfert ? Non. J'ai été transféré dans le cadre de la loi autorisant les joueurs appelés sous les drapeaux à signer au profit du club le plus proche de la caserne où il est mobilisé. Si c'était à refaire, vous auriez fait les mêmes choix ? Oui, je serais parti à la JSK. C'est sans regret. Certains ont dit à l'époque que j'aurais dû attendre encore avant de signer dans un grand club, mais moi, je ne regrette rien. C'est une opportunité qui pouvait ne pas se présenter par deux fois. A 20 ans, vous étiez déjà sélectionné chez les A … Oui, quoique je ne suis pas resté longtemps. Une blessure avait tout remis en cause. Après cinq minutes de jeu, les ligaments croisés ont pété ! Aviez-vous pris conscience sur le coup de la gravité de la blessure ? Non, pas du tout, je ne me doutais pas que c'était aussi grave. Il m'aura fallu deux ans pour mesurer l'ampleur des dégâts ! Tant que ça ! Oui. J'étais jeune. Je ne comprenais pas le jargon médical. Ceci a fait que je n'ai jamais cru que cela pouvait être aussi grave. Vous vous êtes quand même fait opérer ? Deux ans après ! Pourquoi avoir attendu tout ce temps ? Bah, à chaque fois qu'un diagnostic est émis, Hannachi me fait faire une contre visite. Je me faisais balader d'un médecin à un autre, jusqu'à ce que l'une de ses connaissances ait jugé de la nécessité de me faire opérer dans l'urgence. Et vous jouiez pendant ce temps-là ? Oui. J'étais insouciant. Je ne mesurais pas l'ampleur des dégâts. J'étais réticent. J'avais peur d'aller au choc. Je ressentais aussi des douleurs. Mais je jouais quand même. Cette situation s'est déteinte sur mon rendement. J'ai dû bricoler comme ça jusqu'à ce que je perde carrément ma place. Si vous aviez l'opportunité de changer quelque chose de votre passé, ce serait quoi ? Je changerai mon entourage. J'aurais sans doute choisi d'autres amis. D'autres fréquentations. Vous vous seriez sans doute fait opérer dans les délais aussi, non ? Aussi. Je n'aurais pas laissé mon état de santé s'aggraver. J'aurais pris le temps de bien me soigner avant. Vous êtes arrivé à la JSK en même temps que Alliche, vous êtes resté six ans, lui est parti au bout de six mois, à quoi est-il dû selon vous cet échec ? Mouassa lui préférait tout simplement Ghazi. C'est lui qui l'avait fait venir de Guelma, donc naturellement il le faisait jouer plus que Samir. (Alliche, ndlr). Il a donc dû partir. J'aurais fait la même chose. Pourquoi ? J'avais le sentiment d'avoir perdu mon temps. En six ans, je me suis contenté de bribes de matches. Je n'ai pas beaucoup joué, contrairement à Alliche qui a vite rebondi au NAHD. J'aurais dû faire comme lui. Le fait d'être resté longtemps sur le banc s'est déteint sur mon niveau. J'avais le sentiment d'avoir stagné. Peut-être que si j'étais parti avant, je me serais relancé. Pourtant en 2003, Chay avait, avec beaucoup de conviction, misé sur vous, si bien que Ammour avait été rabroué, malgré cette confiance, vous n'êtes jamais parvenu à revenir à votre meilleur niveau. Comment se fait-il ? Aucune idée. Ce que vous dites-là, Hannachi me l'avait dit les yeux dans les yeux. On avait renoncé à faire signer Ammour pour moi. Chay avait dit textuellement : «Comment se fait-il qu'un joueur comme celui-là chauffe le banc ?» On vous connaissait deux visages, un joueur éblouissant durant les stages d'intersaison, mais étrangement, vous vous effaciez durant la compétition, ceci n'a-t-il pas un lien avec votre hygiène de vie ? Peut-être. Je n'en sais rien. Je m'entraînais sérieusement durant la semaine. Je ne pense pas que cela ait un lien avec mon hygiène de vie. On croit savoir que vous êtes aussi passé par des moments difficiles ces derniers temps, pourriez-vous nous en parler ? C'est vrai. J'ai un peu honte de le dire, mais j'ai vraiment galéré. Je me suis tout simplement retrouvé dans la rue. Avec deux familles à ma charge, sans aucune ressource, ça été effectivement très dur à supporter. Comment en êtes-vous arrivé là ? Ma naïveté. J'avais vendu mon appartement de Tizi. Dans le même temps, j'avais racheté un appartement à une connaissance. Je lui avais avancé 420 millions. Je lui devais encore une petite somme que je devais lui octroyer plus tard. On s'était entendus pour signer les contrats notariés une fois la dette épongée. Seulement, le mec a décidé de ne pas respecter l'accord initial. J'ai perdu et l'argent et l'appartement. Il m'a ruiné. J'ai tout essayé pour au moins récupérer mon argent, en vain. Comme on n'avait pas de témoin, c'était sa parole contre la mienne. L'affaire a traîné sept ans en justice, mais j'ai été débouté. Où est-ce que vous êtes logé ? On s'était retrouvés à quatorze dans la rue. J'ai d'abord fait loger mes parents, mes frères et sœurs dans un appartement de location. Ma petite famille et moi sommes partis vivre pendant deux mois chez ma belle- sœur. Par la suite, j'ai été contraint à mon tour de louer un appartement. Pratiquement tous les anciens joueurs se sont assuré une retraite confortable, pourquoi pas vous ? Contrairement à eux, je ne touchais pas mes primes dans leur intégralité. A chaque fois, on me versait une partie, puis rien. Quand j'essayais de comprendre, on me disait que je n'avais pas beaucoup joué, par conséquent, je n'avais pas droit au reste. Et encore, j'avais deux familles à ma charge. Ceci ne m'a pas permis de mettre de l'argent de côté. Le seul investissement que j'avais tenté, c'était l'achat de cet appartement, mais j'ai été ruiné. Avec du recul, je me dis que j'aurais dû être opportuniste comme certains. Comment cela ? Bah, lors de la deuxième Coupe d'Afrique, nous avons été reçus par le Premier ministre, Ali Benflis. Y en a ceux qui sont allés lui demander des appartements. Moi, je n'ai pas osé. Pourquoi ? J'étais trop timide pour le faire. Aviez-vous des sources de revenu au moins ? Aucune. J'ai été obligé de naviguer à gauche et à droite pour faire vivre ma petite famille. Il y a aussi ma grand-mère qui bénéficie d'une pension de femme de chahid. Sans ça, on aurait sans doute demandé l'aumône. Que comptez-vous faire à l'avenir ? Je dois bien faire vivre ma famille. Je suis prêt à travailler n'importe tout. Agent, chauffeur…je n'ai pas à avoir honte. Tout ce qui m'importe est d'améliorer le quotidien de ma famille. Vous n'avez pas eu de l'aide de la part de vos anciens coéquipiers ? Si ! Les frères Dob ne m'ont jamais laissé tomber. Benhamlat aussi. Il vient tout le temps aux nouvelles. Il m'a beaucoup aidé. Je ne l'oublie pas. Quel conseil donneriez-vous aux jeunes de la nouvelle génération ? De faire attention à leur carrière ; On a beau avoir du talent, ça ne suffira pas si on n'est pas sérieux. Dziri, Driouèche et Belkaïd sont de vrais exemples à suivre. NAHD ou JSK ? Les deux. Le NAHD, c'est le club de mon cœur. La JSK m'a fait grandir. La finale de la Coupe d'Algérie, c'est dans pas longtemps, avez-vous une préférence ? La JSK incontestablement. Je serai de tout cœur avec les Kabyles ! Y a-t-il un joueur de la nouvelle génération que vous préférez ? Je ne suis pas beaucoup l'actualité. J'ai néanmoins une préférence pour Nessakh. C'est un joueur qui a de la qualité. Ça se voit dans son jeu.