Un jour, il y a très longtemps, le fils d'un puissant comte, errant dans un endroit sauvage, y rencontra une vieille, très vieille femme en train de lier un énorme tas d'herbe fraîche. — Qu'allez-vous faire de toute cette herbe ? qu'il lui demande. — L'apporter chez moi pour la donner à mes oies. — C'est bien trop lourd pour vous, laissez-moi vous aider. — Volontiers, dit la vieille qui, avec une force insoupçonnée dans ce corps chétif, arrima le tas d'herbe sur le dos du jeune homme et ajouta : «Prenez donc aussi mes paniers de pommes.» — Est-ce loin ? demanda le pauvre garçon, écrasé sous la charge. — Une heure de marche, pas plus... Allez ! En route ! Le chemin grimpait durement, le soleil chauffait, les pierres roulaient sous les pieds, l'herbe pesait lourd comme du plomb, les pommes avaient le poids du bronze. «Je n'en peux plus», dit le jeune comte, s'arrêtant pour reprendre haleine. — Ah ! Ah ! fit la vieille avec un ricanement, jeune et fort comme tu es, ne peux-tu soulever ce que je transporte tous les jours ? Pourquoi s'arrêter ? Personne ne viendra te secourir ici.» Et, ricanant de plus belle, elle prit son élan et sauta debout sur le tas d'herbe. Le garçon chancela : petite et menue comme elle était, la vieille pesait plus lourd qu'un plein tonneau de vin. «Assez, vieille sorcière !» cria-t-il tout en cherchant à se débarrasser de son fardeau. Mais c'était impossible : les paniers demeuraient fixés à ses mains, l'herbe attachée à son dos et la sorcière par-dessus. «Il n'y a pas de joie sans peine, dit celle-ci. Je te réserve une belle surprise, mais il faut d'abord avancer», et, disant cela, elle lui fouettait les bras et les jambes à grands coups de chardon. Quand, au sommet de la montagne, la cabane de la vieille femme apparut enfin, le comte était à bout de forces. Ses genoux tremblaient et un brouillard s'étendait devant les yeux. Il remarqua pourtant, au milieu d'un troupeau, une horrible gardienne d'oies, vieille et édentée, qui, sans se soucier de lui, s'élança vers la sorcière, disant : «Comme vous revenez tard, mère, que vous est-il arrivé ?» — Rien de fâcheux, au contraire, mon enfant ; cet aimable jeune homme m'a offert de m'aider, et, en sa compagnie, le temps a passé très vite. Ce fut seulement après avoir longuement plaisanté sur les joies de cette promenade que la vieille, enfin, sauta à terre et délivra son porteur. Celui-ci s'écroula, plus qu'il ne s'assit, sur un banc, et il s'endormit aussitôt, anéanti de fatigue. Une main brutale l'arracha à son sommeil quelques instants plus tard. «Voici ta récompense, lui dit la vieille, si tu en fais bon usage, elle t'apportera du bonheur.» Le comte regarda ce qui lui était offert : c'était un coffret d'émeraude contenant une unique mais très grosse perle. Il remercia la vieille et partit aussitôt. Sa fatigue s'était dissipée, mais il dut marcher pendant trois jours avant de pouvoir quitter la montagne et il se trouva alors aux abords d'une grande ville, inconnue de lui. Il demanda son chemin et on le conduisit au palais. Le roi et la reine le reçurent si bien que, n'ayant rien d'autre à leur offrir, il prit le coffret d'émeraude, qu'il posa sur les genoux de la reine. Celle-ci l'ouvrit et aussitôt, devenant très pâle, elle s'évanouit. (A suivre...)