Au départ, il y a une bande de copains, des étudiants : deux Français et deux Américains. Jacques Durand, vingt-quatre ans, prépare une agrégation d'anglais. C'est un beau garçon sportif, un athlète, champion de ski, de natation, mais tout aussi brillant dans les études que dans les exercices physiques. Marcel Chardon, vingt-cinq ans, vient de terminer ses études de pharmacie. Lui aussi c'est un champion sportif et un ami d'enfance de Jacques Durand. Les deux Américains s'appellent John Haig, vingt-huit ans, qui prépare un diplôme de mathématiques, et Donald Brogan, vingt-huit ans également, qui lui, est déjà professeur de français à Berkeley en Californie. Haig et Brogan ont connu Durand quand il était aux Etats-Unis où il a passé un an à l'université. Au mois de janvier 1959, les quatre jeunes gens se retrouvent à Paris. C'est autour d'un verre que Jacques Durand leur expose sa grande idée : — L'Afrique, ça vous dirait ? C'est souvent comme cela que commencent les grandes aventures et même que se jouent les destins. Un propos en entraîne un autre, on discute, on se passionne, on s'enflamme et le projet aboutit : il s'agit ni plus ni moins de faire le tour de l'Afrique en voiture. Avec l'aide de leurs parents, les jeunes gens achètent deux 2 CV, et tout un matériel : une vingtaine de pneus, des bouteilles de gaz, des lampes de poche, des vivres en conserve et des tentes. Les préparatifs enthousiastes durent six mois et, le 2 juillet, à la date prévue, tout est prêt. L'une derrière l'autre, les deux petites voitures couvertes d'inscriptions, la première vert pomme, la seconde rouge vermillon, s'élancent en klaxonnant. Dans leurs coffres pourtant, par rapport à ce qui était prévu départ, il y a deux modifications. On s'est muni d'une carabine de fort calibre qui permettra de chasser, de se défendre contre les bêtes sauvages et éventuellement contre les pillards. Mais on a choisi aussi de réduire au minimum les réserves en essence et en eau potable. Il ne faut pas trop charger les voitures. Ces deux décisions, sans que nul ne s'en doute, vont fixer le destin de l'expédition. La traversée des pays méditerranéens passe très vite. Les choses sérieuses commencent quand on arrive au sud de l'Egypte à Assouan. Là, l'expédition s'arrête quelques instants, mais pas pour admirer les splendeurs archéologiques. Que s'est-il passé, au pied des temples égyptiens et des colosses d'Abou Simbel ? Nul ne le sait. Toujours est il qu'au lieu de suivre la voie normale, pour aller vers le Soudan, qui consiste à longer tout simplement le Nil, on décide de rejoindre l'étape suivante, Wadi-Halfa, en passant par une route que même les caravanes redoutent d'emprunter : le désert de Nubie. Le désert de Nubie est presque aussi impitoyable que le Sahara. C'est une étendue de rocaille et de sable de plusieurs centaines de kilomètres de long et de large, à l'est du Nil. La température ne descend jamais à moins de 50° dans la journée. Pas de route, très peu de pistes et si le vent se lève, alors il n'y a plus rien. On ne saurait bien sûr s'y aventurer sans guide. Celui que l'équipe choisit est un Nubien de vingt ans, Waki. Jacques Durand le décrit ainsi dans une lettre à ses parents : «C'est un jeune Bédouin de haute taille au visage fin et racé. Il regarde au loin et ne parle pas. Avec son grand bâton à la main, son turban blanc épais roulé très large, il a l'air ailleurs. Il ne sourit pas, il semble encore près de l'instinct. Il y a en lui quelque chose d'inquiétant et d'animal.» Voilà. Le dernier personnage de l'histoire est en place. C'est maintenant entre eux cinq que tout va se jouer. (A suivre...)