Françoise pratique l'autostop depuis l'âge de seize ans. Elle en a une trentaine au début des années 80, et grâce à ce mode de locomotion, elle peut se flatter d'avoir parcouru gratuitement une distance équivalant à plusieurs fois le tour de la Terre. Françoise est arrivée en Floride fin 1982, pour travailler au pavillon français du grand parc d'attractions d'Orlando. Chaque matin et chaque soir, c'est en stop qu'elle parcourt les dix-sept kilomètres entre le parc et son domicile. Il faut dire qu'elle n'a pas tellement le choix : aux horaires qui sont les siens, les autobus ne fonctionnent pas. Or son guide touristique affirme que l'auto-stop est partout autorisé aux Etats-Unis, à l'exception des Etats du Nevada et de Washington. En ce matin du 16 novembre 1983, Françoise doit aller faire une course dans le nord d'Orlando, à quelques kilomètres de chez elle. Tout naturellement, elle se poste donc en bordure de la grande rue la plus proche et tend le pouce droit en l'air, comme elle l'a fait tant de fois par le passé. Mais aujourd'hui, c'est un peu différent. Moins d'une minute plus tard, en effet, une voiture s'arrête à quelques mètres. C'est un policier qui en surgit, comme un diable hors de sa boîte. Il marche droit vers Françoise et l'apostrophe sur un ton brutal, et d'autant plus inattendu que c'est une région où les gens sont, au contraire, généralement courtois. — Qu'est-ce que vous faites ici ? — Je fais de l'autostop. L'autostop est interdit à Orlando. Vous n'avez qu'à prendre le bus un peu plus loin ; il y en a un dans trente minutes. Sur quoi il remonte dans sa voiture, démarre en trombe et disparaît au premier virage. Françoise reste un peu soufflée ; c'est la première fois qu'elle entend parler de cette prétendue interdiction. Elle réfléchit un instant : «Trente minutes d'attente pour un bus, alors que dans une minute, si je veux, je peux être tranquillement installée dans une voiture ?» (Ce qu'il faut savoir, c'est qu'en fait le policier a dû dire : «Dans trois minutes.» Mais Françoise n'est pas encore habituée à la langue, et elle a compris «trente» au lieu de «trois».) Sans aucun état d'âme, elle se remet en position et tend de nouveau le pouce. Mal lui en prend : sans doute agacé par l'assurance de la jeune Française, le policier fait en effet le tour du pâté de maisons pour repasser aussi vite au même endroit. Cette fois, il s'arrête net devant Françoise et bondit hors de sa voiture en hurlant : — Je viens de vous dire que le stop est interdit ici et vous, vous recommencez ! Vous allez voir ce qui arrive quand on défie la police de cette façon ! Et disant cela, il se précipite sur Françoise, lui arrache violemment son sac à main qu'il jette dans le coffre et, lui tordant les deux bras dans le dos, tente de lui passer les menottes. La malheureuse se débat de toutes ses forces: — Mais enfin lâchez-moi ! Je ne suis pas une criminelle ! Heureusement pour elle, quelques badauds s'attroupent ; le policier craint alors le scandale et la pousse sans l'entraver dans la voiture de police. A partir de cette minute, Françoise se retrouve, et pour plusieurs heures, dans l'engrenage infernal de la machine policière. Rien ne lui est épargné : contrôle des papiers, prise d'empreintes, photographies panoramiques comme dans les prisons, contrôle médical assez sévère et, surtout, une fouille corporelle si poussée qu'elle en devient terriblement humiliante. A suivre Pierre Bellemare