Les autres sont silencieux et observent le magnifique tableau des montagnes fauves que les rayons du soleil, qui commence à décliner, frappent de biais, allumant des pans entiers de rochers abrupts, sauvages, hostiles. «Vous connaissez la légende d'Aguelman ? demande Sana, l'air soudain grave, regardant son mari et ses compagnons tour à tour. — Non !», répondent Brahim et Hafed. Mais Fateh la connaît. «Les gens de la région racontent que celui qui ose escalader l'un de ces massifs disparaîtra aussitôt, et on ne le reverra plus jamais», explique-t-il. Brahim et Hafed éclatent de rire, incrédules : «Ah ! Ah ! Comment ça, disparaître ? Y aurait-il des ogres dans ces falaises ?» Les deux autres sourient, mais n'en pensent pas moins. Puis Brahim, redevenant sérieux, conclut : «C'est vrai... On ne sait jamais... cet endroit est si étrange ! — Moi, s'écrie Fateh, je grimperai rien que pour vous le prouver... — Laisse tomber, lui répond Hafed, on ne sait jamais, un accident est si vite arrivé ! — Peuh ! Tu te dégonfles, mon ami ! dit Brahim en donnant une tape dans le dos de Fateh, tu as peur des ghouêl ! — Chiche ! Je vais grimper de ce pas ! Oseras-tu me suivre ? Hafed et Sana sont témoins...» Mais Hafed intervient : «Laissons, il est tard maintenant, la nuit va tomber, on verra demain.» Les autres regardent un moment le disque rouge du soleil comme posé à l'horizon, et se ravisent : «Demain, dit Brahim, je grimperai et je défie les démons du désert de me faire disparaître !» De nouveau, les regards de Sana et Brahim se croisent, et il semble soudain à Hafed qu'il a toutes les raisons d'être jaloux. L'air étonné de Fateh, qui a surpris les regards, le conforte dans sa certitude. La veillée des trois hommes est plutôt froide, chacun mettant son manque d'enthousiasme sur le compte de la fatigue. (A suivre...)