Résumé de la 9e partie Affaiblis par la faim et le froid, Saddek, Saoudi et Omar traversent à grand-peine le Rhin. Les crises d?estomac de Saoudi se font de plus en plus insupportables, et il marche maintenant plié en deux, les mains serrées sur le ventre. Parfois, les rafales de vent sont si fortes qu?ils doivent rebrousser chemin et revenir dans leur cachette de la veille. Leur désespoir est à son comble et ils doivent se rendre à l?évidence. ? Nous devons absolument demander de l?aide, sinon, c?est la fin ! Nous tomberons peut-être sur de braves Alsaciens. On ne pourra plus tenir longtemps? Alors, l?après-midi, ils sortent de leur cachette et observent, à l?orée de la forêt, le passage d?un jeune berger qui traverse un pré, précédé de deux grosses vaches laitières. Seul, Saoudi sort des fourrés et va vers lui. ? Bonjour, jeune homme ! L?autre, qui ne l?a pas vu venir, sursaute et s?immobilise, le regardant de la tête aux pieds. Il a devant lui un homme au visage exsangue, à longue barbe noire, aux cheveux hirsutes, maigre à faire peur. Son manteau, trop large, couvert de déchirures qui pendent, souvenir des barbelés. La garçon, qui ne doit pas avoir plus de seize ans, est grand et mince. Il porte une veste ouverte sur un épais pull de laine bleu vif. Son visage est plein de taches de rousseur. Ses sourcils sont presque inexistants sur des yeux bleus et ronds qui le fixent intensément. Il recule légèrement en rougissant, et doit visiblement se demander s?il n?a pas affaire à un fou. Saoudi se retourne et appelle ses compagnons d?un geste. Les autres sortent des sous-bois en titubant, fixant le berger en souriant piteusement, plein d?espoir. Le garçon reste silencieux et les observe, puis baisse la tête, réfléchissant, tapant du bout de son bâton sur une pierre du sentier. Puis, le visage soudain grave, il leur dit : ? Moi aussi, je suis avec les patriotes? Je suis un Alsacien français? Attendez-moi ici, je reviens tout de suite, notre maison n?est pas loin, cachez-vous bien et attendez ! Il presse ses animaux devant lui et disparaît au tournant du chemin. Au bout d?un long moment, alors que les évadés commencent à craindre le pire, ils aperçoivent trois vieilles femmes qui arrivent sur le sentier en trottinant, menées par le jeune berger qui porte un panier. Soulagés, les trois évadés sortent à leur rencontre. Les vieilles, fortes et rougeaudes, la tête recouverte d?un foulard, les regardent en souriant et, après une courte hésitation, leur tendent la main. Le groupe s?enfonce à nouveau dans la forêt, loin des regards indiscrets. Une des vieilles déploie une couverture sous un arbre tandis que les autres s?affairent à sortir des victuailles du panier. ? Voilà asseyez-vous là, leur disent-elles en mauvais français, prenez place, et mangez ! Alors, les fugitifs, comme dans un rêve, se voient servir de grands bols de café au lait encore fumant ramené dans des bouteilles. Une des femmes leur tend de grosses tartines de miches de seigle au beurre et des morceaux de fromage sec. Lorsqu?ils avalent les premières gorgées, ils manquent de s?évanouir. Leurs mains ont de violents tremblements. Debout, les autres les observent, et au bout d?un moment, une des vieillies font en larmes, le visage cachée dans un pan de son tablier. Le berger, qui était parti, revient accompagné maintenant de deux hommes. Ils sont costauds, vêtus de pantalons de velours et de chandails ; leurs bottes de caoutchouc cachent le bas de leurs pantalons. Ils tiennent entre eux les deux bouts d?un sac de jute. Pleinement rassurés, les fugitifs continuent de manger goulûment, racontant leur évasion par à-coups, la bouche pleine. Un instant après, le groupe se concerte en dialecte alsacien, sans les quitter des yeux. Lorsque, enfin repus, ils s?arrêtent de manger, un des hommes s?accroupit près d?eux et leur dit : ? Nous ne pouvons vous cacher ici. Notre village n?est pas loin et beaucoup de nos compatriotes sympathisent avec les Allemands. Leurs espions sont partout. Nous allons vous couper les cheveux et vous raser, puis vous mettrez des bleus de travail et des casquettes que nous avons apportés. On vous prendra pour des ouvriers. Une lueur de compassion passe dans ses yeux. Vous avez dû beaucoup souffrir, pauvres garçons, pauvres garçons ! Les trois hommes se font couper les cheveux et raser, bien cachés dans les fourrés tandis que les vieilles et le berger montent la garde. Puis ils changent de vêtements pendant que les autres conversent à voix basse, et ils ne comprennent que les blasphèmes qu?ils jettent de temps à autre, visiblement contre les troupes allemandes. ? Kopfertomi noramoll ! Kopfertomi ! L?un d?eux, dans un accès de colère, saisit son béret et le jette au sol. Quand les trois évadés sortent des fourrés, tous les regardent avec satisfaction. ? Ya ! Vous avez changé maintenant, hein ! C?est mieux comme ça ! dit l?un des Alsaciens de son accent traînant. Mais le temps presse, et ils doivent reprendre la route. ? Nancy n?est pas loin d?ici, environ quarante kilomètres. Suivez la route, et surtout, soyez très très prudents, les Allemands sont partout, en uniforme ou en civil, et vous êtes sans papiers et ils doivent avoir votre signalement ! (à suivre...)