Résumé de la 8e partie n Epuisés et affamés, les évadés sont tout heureux d?attraper enfin un lièvre dont ils se régalent après l?avoir fait rôtir sur un feu de bois. Deux jours plus tard, alors que leur épuisement est à son comble et que la faim leur noue l?estomac, ils aperçoivent au retour d?un bois, une masse sombre derrière la route qu?ils suivent depuis de nombreux jours maintenant. Un bruit d?eau, comme celui d?un grand torrent qui court leur parvient, de plus en plus fort. Ils traversent prudemment la route, descendent un terre-plein et découvrent devant eux un immense cours qui se perd dans l?obscurité. Ils devinent vaguement l?autre berge, perdue dans la nuit. ? Ce doit être le Rhin, dit Saoudi? Nous sommes en Alsace ; il ne nous reste plus qu?à le suivre jusqu?au prochain pont. Ce faible espoir leur redonne la force de marcher. Ils longent le fleuve durant toute la nuit, mais découvrent que tous les ponts sont gardés pas des soldats. Il est donc impossible de traverser. Ils n?ont d?autre alternative que de continuer leur marche. Leur force et leur moral sont au plus bas. ? N?avons-nous donc fait tout ce chemin que pour rester prisonniers de ce fleuve ? Qu?allons-nous devenir ? dit Sadek avec dépit. Le lendemain soir, au milieu de la nuit, une pluie battante qui va durer deux jours, les oblige à se terrer sous les arbres d?un petit bois. Saoudi reste couché en chien de fusil, les bras serrés sur son estomac. Des spasmes violents le font gémir, et ses amis craignent pour sa vie. Rien ne peut aller plus mal, et tous les trois ont conscience que leur fin est proche. Sadek, dans un ultime effort, sort de sa cachette et revient au bout d?un moment avec de l?herbe drue et des racines. ? Tiens, Saoudi, mets ça sous ta dent, c?est la faim qui aggrave tes douleurs. Le jour suivant, ils reprennent leur route tant bien que mal. Leurs vêtements sont secs, mais la faim les taraude de plus en plus. Presque aussitôt, ils découvrent avec surprise deux énormes barres de fer soudées à la berge, d?une dizaine de centimètres chacune, traversant le fleuve et semblant aboutir sur l?autre rive. ? Ils commencent certainement la construction d?un nouveau pont, dit Saoudi, et c?est par-là que nous allons traverser? Ils restent un bon moment à observer les barres de fer, à les tâter dans l?obscurité, puis ils se décident. C?est leur dernière chance, ils le savent. ? Que Dieu nous aide ! A plat ventre, avançant sur la bande étroite, ils rassemblent ce qui leur reste de forces pour s?agripper des bras et des jambes au-dessus des eaux bouillonnantes. Le bruit est assourdissant, et chacun progresse, toute sa volonté tendue, sans un regard pour les autres. Chacun pour soi ! L?acier leur brûle les bras et les cuisses, mais ils n?en ont cure, conscients qu?ils jouent le tout pour le tout. Brusquement, Saoudi perd l?équilibre, glisse sous les poutres, et reste suspendu au-dessus de l?eau. Il s?accroche avec l?énergie du désespoir pour ne pas tomber. Il semble à bout. Sadek, qui le suit, s?arrête à son tour, le regarde, impuissant, dans une terrible angoisse, il lui hurle, pour couvrir le bruit des eau. ? Tiens-toi, mon frère, courage, ne lâche pas ! Il ne peut l?aider, car il lui suffirait de lever un bras pour perdre l?équilibre à son tour. Les planches d?acier, trop étroites pour leur poids, bougent dangereusement au-dessus de l?eau qui déferle dans un grondement d?enfer. Alors, bandant toute sa volonté malgré sa grande faiblesse, Saoudi rétablit son équilibre, remonte sur les poutres en serrant ses jambes de toutes ses forces. Tous les trois s?immobilisent un moment, haletants. Et ils continuent à ramper courageusement au-dessus du fleuve, s?agrippant aux poutres mouillées? Enfin, transis par les embruns, ils se glissent sur la berge et se jettent à terre? Il y a un long silence. Les trois évadés se dévisagent, un moment, dans la clarté de la lune, et éclatent en sanglots l?un après l?autre. Ils pleurent un bon moment sans pudeur, éperdument, comme pour se débarrasser de ce trop-plein de souffrances et d?amertume qui les submerge, eux que personne n?avait jamais vus pleurer? Sadek est le premier à se ressaisir : ? Partons, si les Allemands nous trouvent, ils vont nous mettre du henné ! Cette expression les fait sourire et détend l?atmosphère. Ils se lèvent et s?enfoncent dans la forêt qui borde la rivière et, après s?être assurés qu?ils sont bien seuls, ils allument un petit feu de bois et entreprennent de faire sécher leurs vêtements. La lueur vague de l?aube apparaît entre les cimes des arbres quand ils se couchent, harassés, tâchant d?oublier qu?ils n?ont pas mangé grand-chose depuis longtemps. Ils marchent toujours vers l?ouest, se nourrissant de racines et de pissenlits, mais leurs forces déclinent rapidement, et leurs étapes sont de plus en plus courtes. Ils sentent que le froid terrible et les privations auront bientôt raison d?eux, et ils craignent de mourir d?inanition ou de tomber entre les mains de leurs ennemis. (à suivre...)