A quelques heures de l'expiration des ultimatums lancés par une rue en ébullition et par l'armée au chef de l'Etat, le pays retient son souffle. Morsi et son camp les ont rejetés ; ce qui fait craindre le pire. Pour l'institution Al Azhar, le risque d'un bain de sang n'est pas à écarter. Et maintenant ? Le refus obstiné du président Morsi de faire fi des deux ultimatums qui lui ont été lancés hier, par d'abord la rue et ensuite par l'armée, accentue le poids des incertitudes qui pèsent sur le devenir de l'Egypte. Morsi a dit non : il ne quittera pas le pouvoir comme demandé par l'opposition et par les généraux, affirmant que «l'Egypte ne permettra absolument aucun retour en arrière quelles que soient les circonstances», M. Morsi s'est posé en garant de la «réconciliation nationale» et de la «paix sociale». En position d'arbitrage dans la grave crise politique qui secoue le pays, l'armée, qui avait déclaré la semaine dernière qu'elle ne laisserait pas le pays «plonger dans un tunnel sombre de conflits et de troubles», a décidé ainsi d'accroître la pression sur le Président islamiste Mohamed Morsi, à la grande satisfaction de ses opposants. Le mouvement Tamarrod (rébellion, en arabe), à l'origine des rassemblements, de même que les manifestants présents sur la place Tahrir au Caire ont salué la déclaration de l'armée, affirmant qu'elle se rangeait «aux côtés du peuple». Mais ce choix ouvre de nombreuses incertitudes, estiment plusieurs analystes. Bien que l'injonction de parvenir à un accord s'adresse à toute la classe politique, «c'est dans les faits un ultimatum lancé au Président», estiment des observateurs. «L'armée lui donne 48 heures pour accepter ce que le peuple demande», et après les manifestations géantes de dimanche contre le chef de l'Etat «il n'y a qu'une demande, celle d'une élection présidentielle anticipée» qui signifierait son départ à brève échéance», relève-t-on. Mais le retour au premier plan de l'armée, qui avait assuré une direction controversée du pays entre la chute de Hosni Moubarak début 2011 et l'élection de M. Morsi en juin 2012, est potentiellement semé d'embûches. Pour des politologues, «les forces armées veulent que le pays sorte de cette situation et évite une guerre civile, mais ne veulent plus assumer directement le pouvoir». «Une intervention de l'armée n'est pas une solution à long terme, et la coalition de l'opposition actuelle est trop faible et indécise pour assurer une direction stable au pays», estime un autre analyste. Certains haut gradés égyptiens confessent en privé garder un souvenir difficile de la période où ils ont directement géré les affaires. A l'époque, les mêmes opposants qui aujourd'hui en appellent aux militaires, n'avaient pas de mots assez durs pour critiquer le Conseil suprême des forces armées (CSFA), accusé de perpétuer un pouvoir autoritaire et d'être responsable de graves violations des droits de l'Homme. Il faut également savoir comment le Président et sa formation d'origine, les Frères musulmans, vont réagir aux injonctions des militaires. A une poignée d'heures de l'expiration des deux ultimatums, des hypothèses les plus pessimistes et les plus alarmantes sont du domaine du possible. Démissions en cascade Le ministre égyptien des Affaires étrangères, Mohammed Kamel Amr, a remis sa démission, a annoncé ce matin l'agence de presse officielle Mena. M. Amr est le plus important membre du cabinet à quitter le gouvernement, après la démission hier, lundi, de quatre ministres. Les ministres du Tourisme, de l'Environnement, des Communications, et des Affaires juridiques et parlementaires ont remis ensemble leur lettre de démission au Premier ministre, Hicham Qandil, au lendemain des manifestations monstres qui ont secoué le pays. Le ministre du Tourisme, Hicham Zaâzou, avait déjà voulu démissionner le mois dernier en raison de la nomination comme gouverneur de la région très touristique de Louxor d'Adel al-Khayyat, membre d'un parti islamiste lié à un groupe radical ayant revendiqué en 1997 une attaque qui avait coûté la vie à 58 touristes étrangers près de cette ville. Bilan provisoire : 16 personnes tuées Au moins seize personnes ont trouvé la mort lors des manifestations selon un bilan qui reste provisoire, dont huit dans des heurts entre partisans et adversaires du Président islamiste Mohamed Morsi au Caire, a indiqué, hier, lundi, le ministère de la Santé. Six personnes ont été tuées dans les provinces de Beni Suef, Assiout (centre), Kafr al-Cheikh et Fayoum, tandis qu'un manifestant est mort asphyxié devant le palais présidentiel au Caire et un autre à la suite de ses blessures à Alexandrie, a-t-on précisé de même source. Al-Azhar craint un nouveau bain de sang La grande institution islamique, Al-Azhar, principale autorité sunnite, a exprimé hier, lundi, son inquiétude face à la présence d'hommes armés dans les manifestations «pacifiques». «Al-Azhar suit ce qui se passe avec une profonde inquiétude, en particulier les informations sur les victimes et l'arrestation de passeurs d'armes qui semblent avoir infiltré les rassemblements pacifiques», a indiqué dans un communiqué l'institution basée au Caire, qui dit redouter un «nouveau bain de sang». «Al-Azhar ne peut pas ignorer ce qui se passe ou rester les bras croisés pendant que ces groupes infiltrent les rangs des manifestants pacifiques, apportant toutes sortes d'armes dans le but de plonger le pays dans des confrontations qui mèneront Dieu seul sait où», a poursuivi l'institution. Al-Azhar a exhorté tous les acteurs de l'Etat à «prendre des mesures immédiates pour désarmer et arrêter ces gens» et a lancé un appel général au calme. La Justice veut reprendre la main La justice égyptienne a ordonné ce matin la réintégration du procureur général limogé par le Président Mohamed Morsi, infligeant un autre revers au chef de l'Etat égyptien. «La cour d'appel rend une décision définitive de réintégration d'Abdel Méguid Mahmoud (au poste de) procureur général», a indiqué l'agence officielle Mena. Le limogeage, en novembre, de ce procureur nommé du temps du Président Hosni Moubarak avait provoqué une levée de boucliers chez les magistrats, qui avaient dénoncé une ingérence de l'exécutif dans les affaires de la justice.