Douleur Le jeune homme souffre d?un mal inconnu qui l?empêche de dormir. Au début du vingtième siècle, beaucoup de régions d'Algérie, notamment dans les zones rurales, échappaient au pouvoir colonial : certes, elles étaient conquises et pacifiées, comme on disait alors, mais la loi française n'y avait pas cours, les gens s?administrant selon les coutumes. Tout au plus déclaraient-ils les naissances et les décès et rarement les mariages, car souvent les jeunes mariées n?avaient que dix, douze ou quatorze ans, un âge fort éloigné de celui imposé alors par la loi... Dans ce village des Bibans, on vit presque hors du temps : il n'y a, bien sûr, ni électricité ni eau courante, ni dispensaire ni école, ni même route carrossable : les seuls accès sont les pistes séculaires, dites aussi «routes des ânes». Les gens sont pauvres et beaucoup de villageois, faute de trouver du travail sur place, s'exilent vers les villes du Nord. La mortalité est particulièrement élevée, faute de soins. Les gens ne disposent, pour lutter contre les maladies, que de moyens thérapeutiques traditionnels, c'est-à-dire les remèdes naturels, particulièrement les plantes. C'est justement avec les plantes qu'un jeune homme, encore célibataire, appelons-le Ali, est soigné par la rebouteuse du village. Il souffre d'un mal inconnu qui l'empêche de dormir. ? Je ne peux fermer l'?il ni de jour ni de nuit, a-t-il expliqué à la vieille, ce qui me donne de violents maux de tête. Je ne peux plus supporter la douleur ! Donne-moi donc quelque chose pour dormir ! La vieille cherche dans les paniers où elle conserve ses plantes médicinales et elle lui tend une poignée de feuilles séchées de couleur jaune, rayées de pourpre. ? Fais-toi une tisane, lui dit-elle, cela te calmera. Mais n'utilise que quelques fleurs, la plante est efficace mais dangereuse. L'homme rentre chez lui et donne aussitôt les fleurs à sa mère, appelons-la Kheïra. ? Fais-moi vite une tisane, que cette maudite douleur s'arrête ! ? La vieille rebouteuse a dû t'indiquer la quantité de fleurs à mettre... ? Mets tout ! fait Ali, je doute que la quantité soit suffisante pour arrêter la douleur ! La mère obéit. De toute façon, elle ne s'y connaît pas en matière de plantes... Ali a vraiment mal. Par moments, il a l'impression que sa tête va éclater. Il reçoit comme des coups de pique à la nuque et aux tempes puis la douleur irradie, envahit toute la tête, descend jusqu'au dos, jusqu?à engourdir les membres supérieurs. ? Vite, la tisane ! clame-t-il. Kheïra répond qu'elle est encore chaude et qu'il doit patienter un peu. ? Non, dit Ali, j'ai trop mal, apporte-la moi tout de suite ! La mère obéit encore. Elle apporte donc un pot fumant d'une boisson à la couleur étrange. ? Tu vas te brûler, dit-elle à son fils. ? Tant pis ! Il avale le breuvage d'un trait. Il a les lèvres brûlées, mais c'est à peine s'il a ressenti cette douleur, celle qui vrille sa tête étant beaucoup plus forte. ? Etends-toi ! dit Kheïra. Ali s'étend. La douleur résonne encore puis, miracle, elle commence par diminuer. «Je me sens mieux !» murmure-t-il. La mère, au comble de la joie, lui apporte une couverture. «Essaye de dormir...» (à suivre...)