Résumé de la 30e partie n Pendant de longues années, l'éléphant Blanc vécut, avec son cher Aor, dans la splendeur et les délices... Aucun temple ne m'était fermé, et j'aimais à pénétrer dans ces hautes et sombres chapelles où la figure colossale de Gautama, ruisselante d'or, se dressait comme un soleil au fond des niches éclairées d'en haut. Je croyais revoir le soleil de mon désert et je m'agenouillais devant lui, donnant ainsi l'exemple aux croyants, édifiés de ma pitié. Je savais même présenter des offrandes à l'idole vénérée, et balancer devant elle l'encensoir d'or. Le roi me chérissait et veillait avec soin à ce que ma maison fût toujours tenue sur le même pied que la sienne. Mais aucun bonheur terrestre ne peut durer. Ce digne souverain s'engagea dans une guerre funeste contre un Etat voisin. Il fut vaincu et détrôné. L'usurpateur le relégua dans l'exil et ne lui permit pas de m'emmener. Il me garda comme un signe de sa puissance et un gage de son alliance avec le bouddha ; mais il n'avait pour moi ni amitié ni vénération, et mon service fut bientôt négligé. Aor s'en affecta et s'en plaignit. Les serviteurs du nouveau prince le prirent en haine et résolurent de se défaire de lui. Un soir, comme nous dormions ensemble, ils pénétrèrent sans bruit chez moi et le frappèrent d'un poignard. Eveillé par ses cris, je fondis sur les assassins, qui prirent la fuite. Mon pauvre Aor était évanoui, son sarong était taché de sang. Je pris dans le bassin d'argent toute l'eau dont je l'aspergeai sans pouvoir le ranimer. Alors, je me souvins du médecin qui était toujours de service dans la pièce voisine, j'allai l'éveiller et je l'amenai auprès d'Aor. Mon ami fut bien soigné et revint à la vie ; mais il resta longtemps affaibli par la perte de son sang, et je ne voulus plus sortir ni me baigner sans lui. La douleur m'accablait, je refusais de manger ; toujours couché près de lui, je versais des larmes et lui parlais avec mes yeux et mes oreilles pour le supplier de guérir. On ne rechercha pas les assassins ; on prétendit que j'avais blessé Aor par mégarde avec une de mes défenses, et on parla de me les scier. Aor s'indigna et jura qu'il avait été frappé avec un stylet. Le médecin, qui savait bien à quoi s'en tenir, n'osa pas affirmer la vérité. Il conseilla même à mon ami de se taire, s'il ne voulait hâter le triomphe des ennemis qui avaient juré sa perte. A suivre George Sand