Rite Chaque été, Rabah invite ses petits-fils en Algérie. Il les accompagne à la plage et leur parle de l?Algérie, son pays qu?il a été forcé de quitter et qu?il adore. Un chapeau de paille sur la tête, les deux mains autour de la taille, Rabah regarde avec passion ses deux petits-fils en train de pêcher. Son regard se perd entre les petites vagues et l?horizon. «Quand pourrons-nous connaître la paix en Algérie ?», lâche-t-il sans détourner ses grands yeux verts. «Nous avons tout ici. Le Sud, le sable doré, la Méditerranée, la montagne. Regardez cette magnifique plage. Vous savez, de telles plages sont rares en Europe. Nous avons tout, pourtant nous sommes malheureux. Pourquoi ?» Le vieil homme se laisse emporter par la nostalgie et l?émotion : «Regardez ces enfants qui jouent sur la plage. Eh bien, ils n?ont rien à se mettre sous la dent ! Leur père a été tué par les terroristes, leur mère est morte maintenant, c?est leur grand-mère qui s?occupe d?eux, ils sont 7 frères et s?urs!» Il s?arrête un moment, s?assoit et tente de retenir son envie de pleurer. «Hier, j?ai demandé à l?un d?eux comment ils vivaient. Vous savez ce qu?il m?a répondu ? ?Pourquoi ? Vous croyez que nous sommes en vie !??? J?ai eu très mal. Je me suis tu. Que dire lorsqu?un enfant de 8 ans vous dit cela ?» Rabah a 72 ans. Il a dû quitter l?Algérie en 1992 sous la menace terroriste, car il était marié à une Française et de surcroît vendeur de liqueurs. «Je suis revenu en 2000. Chaque mois de juillet ou d?août, je ramène mes trois petits-fils, même si cela est fatigant et que je dois sacrifier de mon temps. Je ne veux pas qu?ils soient déracinés, qu?on les prive du vent du bled. Je veux qu?ils aiment et connaissent l?Algérie.» Rabah a été marqué par cet exil forcé, il en est même tombé malade. Il a été hospitalisé durant treize mois en France juste après son départ. Notre interlocuteur se rappelle les années 1990, il affirme que cette plage était «surpeuplée», il n?y avait même plus de place où mettre les pieds. «Aujourd?hui, même si les vacanciers viennent, ils ne seront pas aussi nombreux que ces années-là. Je veux revenir ici. Qu?en pensez- vous ?», interroge-t-il. Et lui, que veut-il ? Sans aucune hésitation : «Je veux revenir, j?adore mon pays. Je veux rester, mais toute ma famille est en France. Ma femme va et vient. Moi aussi, mais à mon âge, ce n?est pas une vie. Il serait temps de prendre une décision.»