Brutalité ■ L'histoire ci-dessous a eu lieu dans un village de Haute Kabylie il y a un siècle. A elle seule, elle illustre l'injustice dont les hommes font souvent montre à l'égard des femmes. Un homme réputé calme et plein de sagesse voulut battre sa femme parce qu'elle n'avait pas fait cuire son dîner comme il aurait voulu. Aujourd'hui, c'est mille fois rien mais il y a un siècle environ, en raison de la misère, c'était un délit passible du divorce. Alors dans pareil cas, quand une femme se fait battre au lieu d'être répudiée, elle pouvait se considérer comme très chanceuse. Pour battre sa femme notre villageois se saisit d'une outre à l'intérieur de laquelle il prit soin d'introduire une cognée de hache. L'arme redoutable mais d'apparence inoffensive, s'abattit à plusieurs reprises sur le dos de la pauvre femme qui ne put étouffer ses cris comme l'exigeait la «loi» du mâle. Ses hurlements traversèrent les murs de pierres, d'argile et de bouse pour aller planer sur les toits du village avant d'être perçus par les habitants qui sortirent de leurs demeures pour prêter assistance à celle (ou celui) qui les avait tirés de leur torpeur crépusculaire. C'est armés de haches, de faucilles et de quinquets et de torches qu'ils arrivèrent là où ils pensaient trouver un drame. Vous imaginez un peu leur étonnement lorsqu'ils virent que la femme avait ameuté toute la région alors que son mari la frappait seulement avec une outre inoffensive ? Avec une peau de chèvre ! Comment peut-on hurler de la sorte lorsque les coups sont équivalents à des caresses ? Dépités et écœurés par cette femme, désormais, à leurs yeux, mauvaise et sans vergogne, ils retournèrent chez eux. Ils avaient même plaint le mari d'avoir épousé une telle dévergondée. Pendant ce temps, se sentant abandonnée, à la merci d'un époux aveuglé par la fureur, la femme lança encore quelques cris de douleur et avant de s'évanouir, hurla quelques mots que des hommes avaient pu entendre. Une phrase qui deviendra quasiment proverbiale. «Ne savent la vérité que celui qui a frappé et celui qui a reçu les coups !» (A Suivre)