Tiraillés entre la fureur de leur âge et leurs conditions de vie, ces jeunes n?ont pas pour autant le choix. Les cheveux coupés court et teints en blond, une boucle en argent à l?oreille gauche, Mohamed ressemble beaucoup à son idole George Michael, le chanteur américain de pop music. D?ailleurs, il adore qu?on le lui dise. Vendeur de cigarettes à 24 ans, il passe la journée collé à sa petite table. Issu d?une famille nombreuse, il travaille pour subvenir aux besoins de sa famille et aux siens. «Mon père est retraité, ma mère est femme au foyer, il faut bien que j?arrive à payer mon café et mes fringues, hein ! Mes parents sont dépassés et je ne peux plus compter sur nos maigres ressources.» Son temps, il le passe ici, debout sur le trottoir de la rue Hassiba-Ben-Bouali, depuis le matin et ce, jusqu?à des heures tardives. Il faut bien vendre pour survivre ! «Je dois aussi pouvoir prendre ma copine au salon de thé et ce n?est pas papa qui me paye ça !», lance-t-il avec un sourire troublé. «Je sors de temps à autre avec mes copains. On va au ciné, au cybercafé, on fait quelques parties de foot, mais je ne suis pas épanoui pour autant. La vie est dure en Algérie, surtout pour nous.» Terrible malédiction que de grandir sur les trottoirs sordides de la capitale, de vieillir en regardant amèrement ses années s?égrener au rythme d?une pendule sans en profiter réellement. Karim n?a que 17 ans, c?est un jeune vendeur à la sauvette au marché de Belouizdad. Le visage brûlé par le soleil et perlé par la sueur qui coule sur son front. Debout, il propose des pulls de femmes de différentes couleurs déposés sur un carton d?emballage sur le sol. «Des bodys à 600 DA ! Echri ya mra», crie-t-il avec toute la fureur de son âge. Le regard égaré, il avoue que sa jeunesse n?a pas été rose. «Je ne sais guère ce que ce mot veut dire, de quelle jeunesse parle-t-on !? Je sors tôt le matin et je ne rentre que tard le soir. Je passe ma vie ici, je travaille comme un nègre, ni loisir ni passe-temps, juste le travail.» Avec l?argent qu?il gagne, Karim ne peut se permettre que quelques «folies», car la plus grande somme va à sa famille. «Je dois aider les miens», dit-il en affirmant que c?est un travail périlleux, car à un âge aussi insouciant, il lui arrive d?assumer la lourde responsabilité de circuler avec des sommes importantes. «Je ne vous cache pas que souvent je rentre en regardant toujours derrière moi. Je bosse dans un quartier populaire, et je dois rentrer à Bab El-Oued. Je suis connu ici et je peux être victime d?agression, les gens tuent aujourd?hui même pour 100 DA !». Tiraillés entre la fureur de leur âge et les conditions de leur vie, ces jeunes n?ont pas pour autant le choix. La plupart versent dans la drogue, la toxicomanie et la délinquance, ne trouvant aucune aide ou prise en charge sociale. Tel Réda. Ce jeune Casbadji a passé toute sa jeunesse dans la rue. Il a fui sa maison à 19 ans. Sa belle-mère est impitoyable, elle le harcèle sans arrêt et monte son père contre lui. «Je survis comme un vagabond. Je vole pour me nourrir, parfois je bricole ici et là, sinon je crève de faim. Les gens sont cruels, ils ne font preuve d?aucune compréhension. La froideur de leur regard et leur pitié glacée blessent et torturent le c?ur.» Réda refuse de s?adresser à des centres de jeunesse, car sa liberté, il y tient. «L?emprisonnement, c?est tout ce qu?ils nous offrent. C?est vrai que je mène une vie de solitaire, mais je suis libre. La jeunesse en Algérie est une malédiction. Que font les responsables ? Peuvent-ils écouter nos pleurs nocturnes ?» Le visage plein de cicatrices, Réda vient de purger une peine de 20 jours en prison. «Je dormais sur le trottoir, lorsque quelqu?un a tenté de m?agresser. J?allais me défendre lorsqu?un flic a surgi. Comme je suis un vagabond, alors que le mec était bien habillé, c?est moi l?accusé et l?inculpé d?office.» Un sachet de lait à la main, plein de diluant qu?il hume en public, Mehdi raconte une autre histoire, une autre souffrance. «Je ne suis pas bien. Je souffre. Mon père en est responsable. Il rentre chaque soir ivre mort. Il bat ma mère et ne respecte personne. C?est dur vous savez de vivre tout cela. Je ne peux me confier et exprimer mon refus de cette situation. J?ai beaucoup d?argent, je m?habille comme un gawri, mais en réalité je manque de tout.» Mehdi confie que ce n?est que depuis trois jours qu?il se drogue avec sa bande, n?ayant aucune écoute au sein de sa famille ni ailleurs. «Je m?évade, j?oublie cette existence que je mène. Je ne sens plus mon corps et mon esprit. Les problèmes disparaissent miraculeusement, même si c?est pour quelque temps.»