Résumé de la 8e partie n Ma Clémence et la Léontine étaient sous l'arbre et se barbouillaient de griottes jusqu'aux oreilles. La sauvage, tout effarouchée encore, s'était rejetée la tête dans mon tablier ; mais peu à peu, la dame lui donnant une main et moi l'autre, on la ramena vers notre maison. La voiture dans laquelle ils étaient venus de la ville avait toutes ses poches garnies de joujoux ; on les étala sur notre grande table. Mais, malgré cela, la Léontine n'osait point trop s'écarter de moi, et la mère et le père avaient beau vouloir l'attirer sur leurs genoux, elle en glissait toujours pour revenir se fourrer dans mes jupes. Nous offrîmes à la dame une écuelle de lait et au monsieur un verre de cidre ; la pauvre dame ne songeait qu'à sa fille, et elle me prenait les mains et elle me remerciait de ce qu'elle n'était point morte faute de soins. La petite n'était pas de ces plus pesantes, mais elle n'était pas chétive non plus ; le bon air nourrit dans nos pays, et de ce que mes enfants avaient mangé depuis deux ans, elle en avait mangé sa part. Faut bien être un peu chrétien. – Voilà, me dit tout bas la dame, en me montrant la vraie Léontine, une enfant que vous rendrez à sa mère ; je ne veux pas la voir, cette femme ; ce qu'elle a fait là mériterait de bien grandes peines, et peut-être que plus tard elle en sera trop punie par Dieu. Si l'enfant perdait sa mère, vous me le feriez savoir, et je me souviendrais toujours qu'elle a été ma fille à moi, et que je l'ai bien caressée, pendant que la vraie mienne, ma vraie petite Elfride, était maltraitée et abandonnée par sa nourrice. – Mais, mon Dieu, reprenait-elle en dévorant sa fille des yeux, faut-il qu'on nous l'ait si bien cachée ! c'est la vraie image de son père ! Il fallut bien que je m'en allasse avec eux jusqu'à Bellesme et que je restasse deux, trois jours avec eux à la Croix-d'Or, pour habituer la sauvage à sa mère. Cela me fit tout de même, comme vous pensez, un gros crève-cœur quand j'embrassai cette enfant pour la dernière fois et quand je vis leur voiture partir pour Rémalard ; elle était craintive, la petiote, mais elle avait le fonds caressant, et, en vérité, entre Clémence et elle, je ne faisais plus grande différence. Les braves gens avaient pourtant fait ces jours-là, pour me consoler et nous payer de nos dépenses, bien des fois plus que nous ne méritions. C'est la pauvre Léontine, celle à Geneviève, qui avait pleuré, elle aussi, en se séparant de la dame, et il faut dire que la dame, malgré la joie qu'elle avait de retrouver sa fille, n'avait pu s'empêcher de fondre en larmes en laissant l'autre malheureuse enfant entre les mains de mon homme. A suivre Charles-Philippe de Chennevières-Pointel