Résumé de la 5e partie n Marie passait des heures à regarder ces pauvres bêtes qui allaient finir à l'abattoir. Mon Dieu, oui, mamselle, dit Vaudron ; demain matin, leur affaire sera faite. – Est-ce que vous ne voudriez point me les vendre ? lui demanda-t-elle. – Le boucher se mit à rire. Combien donc m'en donneriez-vous ? – Ma plus belle poupée et sa grande voiture bleue. – C'est fait, dit l'homme ; et, faisant le tour de l'enclos par la ruelle, il lui amena les deux agneaux dans la cour. J'avais bien tout entendu de loin, et, ma foi, je leur avais laissé conclure leur marché. Je fis signe au boucher qu'il pouvait abandonner ses bêtes et emporter la poupée avec le carrosse, et que j'irais régler tout de bon le compte chez lui. Quant à Marie, elle ne se connaissait plus de joie. Il fallut tout de suite aller chercher du lait dans l'étable de la jardinière pour faire boire les deux agneaux, et puis trouver dans les vieux chiffons de madame des rubans de soie jaune et rouge pour leur faire des colliers, et puis les mener dans le verger, sous les pommiers, manger de la luzerne fraîche, et puis les faire coucher dans un coin de l'étable, mais sur une paille bien triée pour qu'il n'y eût pas d'épines. Ces agneaux avaient-ils eu bonne chance de venir paître dans le champ de Vaudron ! A partir de ce jour-là, Marie passait toutes ses journées à conduire ses deux moutons, tantôt dans le verger, tantôt dans les allées du jardin, où ils faisaient bien un peu de dégât en broutant les branches d'arbres et les bordures de fraisiers ; mais je fermais les yeux pour ne pas la rendre trop malheureuse ; et quand elle sortait avec moi dans la ville, il fallait entraîner après elle, tantôt l'un, tantôt l'autre ; et c'est de là que lui vint le surnom de Petite Bergère, parce que jamais on ne la voyait sans un mouton. Ses deux bonnes bêtes l'aimaient bien ; elles la suivaient sans cordes, et jamais elles ne songèrent à lui donner de ces coups de tête dont il faut se défier avec les moutons. Elle avait souvent rencontré dans nos chemins creux de pauvres vieilles femmes qui menaient paître leur vache le long des haies, au bord des fossés. Une fois ou deux, elle s'échappa imprudemment de la maison avec ses deux animaux pour leur faire manger aussi l'herbe de ces chemins verts. Mais je n'eus qu'à lui dire qu'en allant là elle s'exposait à perdre ses moutons, qui pourraient lui échapper ou peut-être être mangés par le loup, et surtout qu'elle faisait tort aux pauvres bonnes femmes, qui n'avaient pas d'autre herbe pour leurs vaches ; elle n'y retourna plus. A suivre Charles-Philippe de Chennevières-Pointel