Résumé de la 1re partie n Elle n'en était encore au dessert q'elle devint toute pâle, et mal de cœur, et mal de ventre, et tout ce qui s'en suit. Elle fut gourmande encore deux fois ou trois ; deux fois ou trois le médecin lui donna des drogues amères, si bien qu'elle ne voulut plus manger que ce que je lui accommodai. Mais aussi quelles bonnes petites tartes sucrées, quelles omelettes aux confitures j'apprêtais pour son dîner ! Marie avait beaucoup de robes ; une armoire en était pleine, et plus belles les unes que les autres : elle en avait des bleues, des blanches, des gris-perle soutachées, des vertes, des noires, des violettes, à basques, à volants, à dentelles, et ses poupées en avaient autant qu'elle. Elle voulait que toute la ville les connût, et tous les jours elle m'entraînait par les rues, chez tel marchand, chez tel autre, de façon que l'univers entier lui fît des compliments sur ses chapeaux, ses mantelets, ses broderies, ses bottines. Le plus souvent, j'en avais honte. – Je veux être la plus belle au champ de foire ce soir ! – C'était sa préoccupation dès le dimanche matin ; et si les autres petites filles des riches bourgeois avaient quelque affiquet neuf, plus frais ou plus élégant que les siens, elle en pleurait de chagrin. Le jour de la fête de la Sainte Vierge, qui était aussi sa fête, comme la grande procession de la ville devait venir en station à Notre-Dame-du Vieux Château, je me mis en devoir d'habiller la statue de la Vierge avec une robe et des ornements dorés que ma maîtresse avait faits elle-même pour ce jour-là avant son départ. Quand Marie vit cette robe et cette couronne toute brillante, elle qui n'avait qu'une très-jolie robe blanche à trois volants, brodée au plumetis, elle entra dans une colère horrible. – Non, je ne veux pas que tu fasses la bonne Vierge si belle, elle serait plus belle que moi. – Mes cheveux, en vérité, se dressèrent sur ma tête quand je lui entendis prononcer une telle abomination, et je lui dis très durement : Ecoutez-moi bien, mademoiselle ; c'est pour marquer à la bonne Vierge que nous l'aimons beaucoup et la remercier de ses grâces, que nous nous appliquons à lui faire de beaux habits ; autrement elle ne se soucie ni de nos robes d'or ni de nos rubans de soie ; elle est plus belle sans nos parures que la plus belle des belles, parce qu'elle est la meilleure des bonnes, et soyez sûre que le plus pauvre va-nu-pieds, tout en loques, du quartier de la Croix-Blanche, s'il est pieux et sans vanité, est plus joli à ses yeux que vous avec votre insolence. A suivre Charles-Philippe de Chennevières-Pointel