A deux heures et demie du matin, le gardien du cimetière, qui habitait un petit pavillon au bout du champ des morts, fut réveillé par les jappements de son chien enfermé dans la cuisine. Il descendit aussitôt et vit que l'animal flairait sous la porte en aboyant avec fureur, comme si quelque vagabond eut rôdé autour de la maison. Le gardien prit alors son fusil et sortit avec précaution. Son chien partit en courant dans une seule direction et s'arrêta net auprès d?un monument. Le gardien, avançant alors avec précaution, aperçut bientôt une petite lumière. Il se glissa entre les tombes et fut témoin d'un acte horrible de profanation. Un homme avait déterré le cadavre d'une jeune femme inhumée la veille, et le tirait hors de la tombe. Une petite lanterne, posée sur un tas de terre, éclairait cette scène hideuse. Le gardien, s'étant élancé sur ce misérable, le terrassa, lui lia les mains et le conduisit au poste de police. C'était un jeune avocat de la ville, riche et bien vu. Il fut jugé. Le ministère public rappela ses actes monstrueux. Des frissons d'indignation passaient dans la foule. Quand le magistrat s'assit, des cris fusèrent : «A mort ! A mort !» Le président eut grand? peine à faire rétablir le silence. Puis il prononça d'un ton grave : «Prévenu, qu'avez-vous à dire pour votre défense ?» L?homme, qui n'avait point voulu d'avocat, se leva. C'était un beau garçon, grand, brun, avec un visage ouvert, des traits énergiques, un ?il hardi. Des sifflets jaillirent du public. Il ne se troubla pas et se mit à parler d'une voix un peu voilée, un peu basse d'abord, mais qui s'affermit peu à peu. «Monsieur le président, Messieurs les jurés, «J'ai peu de chose à dire. La femme dont j'ai violé la tombe était ma maîtresse. Je l'aimais. Je l'aimais non point d'un amour sensuel, non point d'une simple tendresse d'âme et de c?ur, mais d'un amour absolu, complet, d'une passion éperdue. «Ecoutez-moi : quand je l'ai rencontrée pour la première fois, j'ai ressenti, en la voyant, une étrange sensation. Ce ne furent point de l'étonnement ni de l'admiration, ce ne fut point ce qu'on appelle le coup de foudre, mais un sentiment de bien-être délicieux, comme si on m'eut plongé dans un bain tiède. Ses gestes me séduisaient, sa voix me ravissait, toute sa personne me faisait un plaisir infini à regarder. Il me semblait aussi que je la connaissais depuis longtemps, que je l'avais vue déjà. Elle portait en elle quelque chose de mon esprit.» (à suivre?)