Présentation n «El Medreb«est un projet artistique initié – avec le concours des autorités locales (APC) – par un collectif de jeunes artistes passionnés par leur art, à l'instar de Myriam Zeggat, Sneak, Serdas ou encore El Panchow, qui ne sont que les quelques noms de cette nouvelle génération d'artistes. Ce collectif a pour nom «Trans-Cultural Dialogues». «El Medreb»est un projet inédit, différent de ce qui a l'habitude de se faire en la matière, voire insolite dans le sens où il s'agit d'une performance picturale qui ne se tient pas dans un espace clos, dans une galerie d'art ou encore dans un espace d'exposition. Son cachet individuel, exceptionnel tient donc du lieu où s'est tenue la performance à la croisée des inspirations et au confluent des imaginaires. Le collectif a eu l'originale idée de «squatter», même temporairement, un espace urbain. D'où d'ailleurs l'objectif du collectif : réhabiliter les lieux abandonnés, friches et autre patrimoine industriel. Au départ, le collectif voulait investir tous les lieux abandonnés du grand Alger, mais faute de moyens humains, seule la région d'El- Hamma a été retenue. Et selon les organisateurs, ce choix s'est fait notamment «grâce au tissu urbain complexe de la ville, son patrimoine industriel, l'accessibilité et les moyens de transport qui la desservent. Mais aussi pour son passé révolutionnaire, et les différentes phases par lesquelles est passée la ville et qui lui confèrent cet aspect et ce cachet uniques». En effet, El Hamma se présente comme un quartier authentique, historique. «Il est porteur d'un passé marqué par le combat pour l'indépendance algérienne mais aussi par les luttes syndicales et citoyennes», a-t-on noté. Myriam Amroun, coordinatrice du projet, explique que «le choix de cette ville a d'autant été plus facile, qu'El-Hamma est actuellement en pleine mutation, en pleine transition, où passé et présent se côtoient, s'entremêlent. Par exemple, de nombreux hôtels vont voir le jour, tandis que les lieux délabrés, comme celui où se tient la manifestation, seront très prochainement démolis». «El Medreb»(en argot algérois, endroit indéterminé et précis à la fois) est surtout l'envie de rapprocher l'art et les habitants des quartiers, et à travers cette performance le collectif a aussi voulu faire revivre les espaces abandonnés et les faire redécouvrir au public, a eu lieu dans deux hangars en friche dans le quartier historique d'El Hamma (Alger). Le premier espace appartient à la société publique de transport, qu'est Etusa, alors que le second est la propriété de l'Ogebc (Office national de gestion et d'exploitation des biens culturels protégés). Ainsi, le collectif a proposé au grand public des performances de Street-Art (l'art de la rue). Les artistes ont nettoyé les lieux, ils les ont défrichés pou s'adonner à leur performance, en donnant libre court à leur inspiration, laissant parler leur créativité. Ils ont transformés ces lieux en espace d'exposition grandeur nature. C'est alors qu'ils ont réalisé des fresques murales, inspirées de «récits urbains»collectés par les organisateurs, notamment auprès de la population. C'est le cas, par exemple, des deux mains géantes construisant un édifice, peintes par l'artiste «Serdas»et inspirées par l'histoire «d'un couple d'Espagnols fabricants de cheminées», ou de personnages hauts en couleurs, représentés par d'autres artistes. Quant aux Sneak et LMNT, deux artistes atypiques, actifs dans la mouvance street-art, et qui excellent dans le «calligrafiti», ont réactivé les signes du passé dans une démarche nourrie de liberté. De son côté, El Panchow et Serdas a également bifurqué avec succès vers l'art de rue. Y. I. Un lieu, une mémoire Sauvegarde n Le collectif, «Trans-Cultural Dialogues», présente El Medreb, qui est une manière d'explorer la mémoire collective, comme «une recherche et non comme une simple activité culturelle». «El Medreb»est, outre un projet artistique relevant d'un effort collectif, d'une volonté sans limite, d'un imaginaire de nature créative et, de plus, dénotant une profonde sensibilité, est une réflexion sur la place de l'art dans les milieux urbains. Il est aussi un questionnement quant à la réutilisation des friches et autres structures industrielles, désaffectées et laissées à l'abandon. Alger, à titre d'exemple, en regorge plusieurs qui, pour la plupart, malheureusement, tombent en ruine, et pour certaines d'entre elles sont, hélas, rasées et remplacées par de nouvelles constructions. Or, il s'agit là d'un bien patrimonial, certes industriel mais historique et qui, de par son ancrage social, illustre une culture urbaine de la ville d'Alger. Le patrimoine industriel renvoie à la mémoire collective d'une ville et, par extension, d'un pays. Il raconte, comme toute autre forme d'expression patrimoniale, l'histoire de ce dernier. Indéniablement, c'est une identité sociohistorique. En Occident, de nombreux sites industriels sont réappropriés pour être réhabilités en fonction des besoins de la demande. Certains sont transformés en des lieux culturels. Mais ce n'est pas le cas en Algérie. Les autorités n'estiment pas nécessaire, judicieux d'élaborer une politique visant à valoriser le parc industriel et urbain, telles les vieilles battisses, en les restaurant et en leur donnant de nouvelles fonctions, c'est-à-dire en les convertissant en des espaces culturels. Il y a en effet une urgence sur la sauvegarde de ce patrimoine qui, en perdition, aiguise les appétits des promoteurs immobiliers, et de son inscription dans le domaine des biens culturels protégés. Les sites industriels désaffectés peuvent constituer une alternative à la question culturelle, donc une solution aux problèmes inhérents à cette dernière. Au lieu de gaspiller des assiettes foncières et de dilapider un budget considérable pour la concrétisation d'infrastructures culturelles, il suffit juste de récupérer les vieux entrepôts, les hangars désaffectés, les ateliers ou autres manufactures vides et inutilisables, et d'anciennes usines abandonnées, et transformer tous ces sites en des espaces culturels et de mémoire, mais pas uniquement des lieux au cachet culturel, il est possible de transformer les friches en d'autres espaces pouvant abriter la petite ou moyenne entreprise, voire des strat-up. En effet, le collectif, «Trans-Cultural Dialogues», présente El Mederab, qui est une manière d'explorer la mémoire collective, comme «une recherche et non comme une simple activité culturelle», dans le sens où il y a une réflexion sur la nécessité de récupérer les friches et autres structures industrielles, de les réinvestir, les ré-imaginer, les réinventer, le tout de manière vivante et pratique, et non pas les démolir. Car, estime-t-on, et c'est le cas d'ailleurs, ils présentent d'énormes potentialités à tous les plans. Ce genre d'initiative, celui de transformer les sites industriels en des lieux culturels, offrira, à coup sûr, aux artistes (plasticiens, musiciens, écrivains, photographes…) une belle opportunité de s'épanouir, il leur offrira la possibilité d'aller au bout de leurs idées créatives. Il leur offrira une extraordinaire expérience, celle de porter l'art au fait de son expressivité et de le développer dans toutes les directions inimaginables et audacieuses. Puisqu'ils auront l'entière liberté de mener, sans restriction, leurs expériences artistiques, quelque soit le type ou le contenu, avec un sens de créativité bien affûté. Car ce genre d'endroit se présente comme des laboratoires où l'art est expérimenté d'une façon renouvelée, novatrice. A chaque fois, les artistes créent, innovent, faisant preuve d'avant-gardisme, de précurseurs, d'initiateurs… Y. I. Haro sur la culture de l'oubli Expériences n El Medreb est une démarche artistique unique dans le genre, mais elle n'est pas la première et elle ne sera sans doute pas la dernière. Il y en aura certainement d'autres tant qu'il y a des initiateurs qui, originaux et créatifs, ont cette volonté de relever les défis et donc de surmonter les entraves. Il y a eu cette année une initiative semblable à El Medreb. Il s'agissait de «Picturie générale III», après deux expositions organisées dans un appartement (l'école d'art Artissimo – 2013) et dans les locaux d'une entreprise privée (La Baignoire - 2014). Cette performance picturale a réuni les œuvres d'une vingtaine de plasticiens, de photographes et de sculpteurs algériens dans les locaux d'un ancien «Souk El Fellah»(galerie marchande étatique), vestige de l'Algérie socialiste. Ainsi, des expressions artistiques (peintures, photographies, sculptures, installations…) les plus diverses et les plus inhabituelles se sont affichés dans cet ancien marché de la rue Volta (centre d'Alger), un lieu pour le moins inédit. Accrochés au milieu des vitres brisées et sur des murs en béton décrépis, fissurés sur près d'une centaine de mètre de long où attachés à poutres hautes de dix mètres sous un plafond en forme de serre, les œuvres multiformes exposées témoignent d'une vitalité créative. Et l'instant d'une exposition qui a mis valeur une génération d'artistes qui émergent et où chacun y a apporté son univers personnel, ce qui d'emblée fait la diversité de la performance, le lieu abandonné a été ranimé. De l'avis du plasticien algérien Denis Martinez qui d'ailleurs a salué cette initiative, celle-ci témoigne de «la liberté et l'universalité de cette jeune génération d'artistes qui ont investi un espace en friche pour en faire un territoire d'expression collective». «Djart'14 », tout comme «El Mederb»ou «Picturie générale », est une autre performance artistique pluridisciplinaire qui, organisé en 2014 par le collectif Trans-Cultural Dialogues, s'est réapproprié des espaces urbains qui ont été laissés pour compte, oubliés et longtemps abandonnés. Et le but de cet événement, comme l'affirme le collectif, est de «donner un sens nouveau et un usage alternatif aux espaces urbains, tout en explorant leur mémoire historique et en considérant leur état actuel ». Ainsi, des lieux comme le «Maqam El-Chahid », le «Jardin d'essais », en passant par la grotte de Cervantès, le Boulevard Didouche Mourad, la Placette Benboulaid (rue Chaib, ex Rue Tanger, Alger Centre), les murs du tunnel des facultés, ont été investis et exploités de façon originale et imaginative. Tout au long de ce parcours atypique, les artistes ont témoigné de leur quotidien et leurs préoccupations à travers des créations artistiques frappantes, qui sortent de l'ordinaire. «Djart'14 », «Picturie générale «ou encore «El Mederb»ont pour objectif de faire sortir par l'art le coté historique de plusieurs endroits de la capitale, à amener les artistes et le public à discuter de l'art dans l'espace public, sachant que l'art est moyen de partage de la connaissance, des discours et des pratiques diverses. C'est «s'approcher des besoins et attentes de la communauté et les lier aux initiatives artistiques et culturelles». D'où la mobilité artistique et son impact sur la société. Et la réappropriation de ces lieux de mémoire pour les réinvestir et les réaménager en des espaces culturels tout en conservant leur aspect architectural originel paraissent comme «une revendication portée depuis quelques années par de nombreux artistes algériens». Y. I. Les Abattoirs d'Alger, un projet avorté Rêve n Réhabiliter une friche industrielle, c'est se réapproprier la mémoire collective et la rendre pérenne. Il y a deux ans, les anciens Abattoirs d'Alger devaient être classés au patrimoine culturel national, après une campagne lancée sous l'étendard «Les abattoirs d'Alger, une aubaine pour l'art«par le collectif «Art'Battoir «(par la suite transformé en association «Cit'arts») d'artistes et autres adeptes de l'art dans le but de sensibiliser les pouvoirs publics pour faire des lieux un repère d'artistes, prenant en compte ce «souci légitime «des artistes en manque de «lieux de production et de diffusion». Les artistes avaient donc lancé une pétition en ligne et ce, afin de récupérer l'établissement et d'en faire des ateliers pour artistes et un haut-lieu de la culture algéroise. Une pétition qui avait connu un grand engouement sur la toile, au point d'arriver jusqu'aux plus hautes sphères du système. En effet, c'était un arrêté du Ministère de la Culture publié au Journal Officiel, qui fixe l'intégration des Abattoirs d'Alger au patrimoine culturel national. Pour rappel, le lieu, un site historique, datant de la période coloniale, s'étend sur 24 000 m2 dans la commune d'Hussein Dey. L'édifice allait être protégé par les articles de loi 98/04, qui régissent le patrimoine, et ne verra aucun chantier non homologué par le Ministère se lancer à 200 mètres de son périmètre, tout comme c'est le cas aujourd'hui à la Casbah. Toutefois, le rêve des artistes de voir ce haut lieu historique transformé en un espace dédié à la création artistique et à l'innovation culturelle a vite tourné court. Les abattoirs d'Alger ne seront pas classés comme monument culturel, mais le site en question devrait servir d'assiette au nouveau siège du Sénat et de l'APN (Assemblée populaire nationale). De l'avis de tous, les Abattoirs d'Alger qui devaient être «une infrastructure culturelle de nature dynamique qui crée l'événement », allaient être une aubaine pour l'art, puisqu'ils allaient être présentés comme «un espace avec pour mission de structurer, dynamiser et encourager la production et la diffusion artistique contemporaine sous toutes ses formes». En effet, «l'objectif étant de doter Alger de moyens nouveaux en phases avec le présent, avec comme objectif : faire sortir de l'impasse et de la léthargie les disciplines liées à la pratique des arts visuels», avait-on noté. Les «Abattoirs d'Alger», selon les artistes des différentes disciplines, pouvaient «convenir à une réhabilitation du type culturelle pour accueillir des activités artistiques et festives pluridisciplinaires». Ainsi, les Abattoirs d'Alger, s'ils étaient classés au patrimoine culturel national, devaient attribuer aux artistes «un droit à l'existence dans la société algérienne», et une reconnaissance artistique indéniable, qui allait leur permettre de s'accomplir de façon démonstrative.