Scène - Devant un public nombreux et conquis, la pièce, jouée dans son intégralité sans une once de retouche ou d'éventuelle actualisation, a, faut-il le rappeler, 34 ans aujourd'hui. Ecrite et jouée en 1983, la pièce «Babor Ghraq», une tragi-comédie sociale, a été rejouée dans la soirée d'hier sur les planches du Théâtre national algérien. La pièce, qui avait marqué l'histoire du théâtre algérien, a été campée par les mêmes comédiens : Mustapha Ayad, Omar Guendouz et Slimane Benaïssa, qui en est l'auteur et le metteur en scène. Le texte à caractère social et aux résonnances politiques, donc d'une profondeur sémantique raconte l'histoire de trois rescapés d'un naufrage, l'intellectuel, l'affairiste et l'ouvrier. Accrochés à une épave, les trois survivants, perdus au milieu de nulle part, en pleine mer, vont devoir négocier, chacun d'eux cherchant son salut. Devant un public nombreux et conquis, la pièce, jouée dans son intégralité sans une once de retouche ou d'éventuelle actualisation, a, faut-il le rappeler, 34 ans aujourd'hui. Evoluant dans un décor sobre, minimaliste, le jeu, mené avec brio, s'est déployé à un rythme fluide, soutenu et avéré, et ce, grâce à l'expérience des planches des trois comédiens, aux longs parcours artistiques. Trois expériences, habilement conjuguées, a permis «une progression régulière à la trame, servie par une mise en scène judicieuse et la densité d'un texte, écrit dans des dialogues directs et allusifs». Le jeu, juste et pertinent, s'est déroulé dans une scénographie, faite d'un bateau fracassé, d'un long filet, de cordages et de quelques accessoires, ce qui a permis une mise en situation directe du naufrage, le tout soutenu par des bruitages de vagues, porté par quelques airs brefs de musique et dévoilé dans un éclairage aux atmosphères vives ou feutrées, selon le contenu des tableaux. Au fil du jeu, le public semble avoir adhéré à la pièce, car, outre le fait que le texte parle dans une langue commune proche du peuple, donc il parle au public, le dramaturge a su y mettre le ton approprié et le verbe intelligent pour faire passer le message avec philosophie et une perspicacité avérée. Cela suscite de l'intérêt et de la réflexion, ce qui amène au débat. La pièce retrace dans une succession de situations à dimensions historique, politique, économique et sociale, la genèse des maux qui rongent la société depuis longtemps déjà. Elle dresse dans le rire et la dérision, le constat amer d'une vie aux abois, dans des métaphores permettant au public, la distance nécessaire pour saisir et comprendre ses propres tourments. Ce qui est étonnant dans «Babor Ghraq», c'est que le texte a été écrit en 1983, et qu'il raconte la réalité d'aujourd'hui. C'est dire que la pièce, à l'époque, pouvait se définir comme un texte prémonitoire. Yacine Idjer l «Babor Ghraq», qui par ses fameuses tirades et ses mémorables expressions populaires, avait tant marqué les planches dans les années 1980, a été joué à l'occasion des 50 années de carrière de son auteur et metteur en scène, le dramaturge Slimane Benaïssa. «Ce 24 juin, je célèbre mes cinquante années de carrière, et je pense que c'est une sorte de rappel de ma carrière qui a débuté en 1967», a fait savoir le metteur en scène, expliquant entre autres les raisons de son retour sur scène avec cette pièce. Le dramaturge qui a toujours su défendre sa langue maternelle dans ses créations avouera que le théâtre algérien jouit d'un «potentiel humain et infrastructurel considérable», tout en appelant à la levée de «l'asphyxie de la parole» pour une meilleure écriture de texte dramaturgique. Slimane Benaïssa, romancier, essayiste, auteur d'une vingtaine de pièces de théâtre, et plus de 1 500 représentations en Algérie et quelque 1 800 spectacles à l'étranger, invite le public algérois à revivre le spectacle «Babor Ghraq» telle «une visite muséale» qu'il compte reconduire au Théatre national algérien jusqu'au 22 juin prochain, avant «une éventuelle tournée nationale», a-t-il confié. Y. I.