Courage - Désenchantée face au pouvoir en place, elle en est devenue l'une des plus féroces critiques: la procureure générale du Venezuela Luisa Ortega, qui ne cesse de défier le président Nicolas Maduro, est perçue dans son camp comme une "traîtresse". «Elle affronterait n'importe quel (obstacle) pour défendre ses valeurs", assure son mari depuis 18 ans, German Ferrer, député chaviste (du nom de Hugo Chavez, président de 1999 à son décès en 2013). Car "elle est la garante de la légalité dans le pays, elle remplit son devoir". Cette avocate de 59 ans l'a encore prouvé lundi: loin de se laisser impressionner par l'annonce de poursuites à son encontre, elle s'est calmement déclarée "préparée à tout(e)" éventualité. Réputée disciplinée et de caractère ferme, Luisa Ortega a commencé à perdre foi dans le gouvernement socialiste en 2016, raconte son époux. Elle désapprouvait les arrestations de plusieurs opposants. Sa première prise de parole critique remonte au 31 mars 2017: elle a dénoncé une "rupture de l'ordre constitutionnel" après la décision de la Cour suprême (TSJ) de s'arroger les pouvoirs du Parlement, contrôlé par l'opposition. L'action du TSJ, finalement annulée 48 heures plus tard, avait été l'étincelle d'une vague de protestations qui a fait plus de 70 morts en près de trois mois. Depuis, la procureure n'a cessé de décocher ses flèches, contestant l'impartialité des magistrats du TSJ, institution accusée par l'opposition de servir les intérêts du président, et critiquant l'armée, autre pilier de M. Maduro, pour sa violence contre les manifestants. Et elle n'a pas hésité à se confronter directement au chef de l'Etat, dénonçant son projet de réforme de la Constitution, qu'elle considère comme dangereux pour la démocratie. C'est "une personne avec beaucoup de trempe, courageuse et honnête", selon son mari. Elle a peu à peu gagné des soutiens dans l'opposition et parmi les voix critiques du camp présidentiel. Son franc-parler irrite: le député socialiste Pedro Carreño, à l'origine de la demande de poursuites contre elle pour "fautes graves dans l'exercice de sa fonction", exige son limogeage pour "démence", le gel de ses biens et une interdiction de quitter le pays. C'est une "traîtresse", affirme le camp présidentiel. Une nouvelle "leader de l'opposition", dit le chef de l'Etat lui-même. Pourtant Luisa Ortega a toujours été de gauche.Proche d'Hugo Chavez durant sa campagne présidentielle en 1998, cette avocate dans l'Etat d'Aragua (nord) avait été nommée procureure en 2002. Avec le soutien du président Chavez, elle avait été promue procureure générale en 2007, avant d'être reconduite en 2014 par le Parlement, alors contrôlé par le chavisme. On la connaît pour son rôle dans l'inculpation des policiers impliqués dans la tentative de coup d'Etat contre Hugo Chavez en 2002. «Affable et respectueuse» l Elle était aussi à l'œuvre dans la condamnation à près de 14 ans de prison du leader de l'opposition Leopoldo Lopez, pour incitation à la violence lors des manifestations anti-Maduro de 2014 (43 morts). Juan Carlos Gutiérrez, avocat de M. Lopez, la définit comme "une femme affable et respectueuse", mais critique son travail: "dans le cas de Leopoldo, le ministère public a agi de façon très irrégulière". Luisa Ortega devait rester procureure générale jusqu'en 2021, mais le gouvernement a fixé une autre date de départ: le 30 juillet prochain, quand sera élue l'Assemblée constituante dotée de "super -pouvoirs" et pouvant donc décider des postes-clés. L'opposition refusant de participer à l'élection, la mainmise chaviste sur cette assemblée est quasi-assurée. «Jusqu'à mon dernier souffle» l Pour le politologue Nicmer Evans, chaviste critique de M. Maduro, la procureure joue un rôle essentiel: "Elle représente le chavisme digne, démocratique, face aux prétentions totalitaires du madurisme". L'analyste Félix Seijas considère qu'elle peut constituer un "pont" entre la frange critique du chavisme et l'opposition. Car la procureure "est très futée et a un grand flair politique", confie un journaliste qui la connaît depuis 10 ans et donne aussi quelques détails personnels: cette femme toujours élégante "mange très sain, peu de viande, et aime marcher". Elle n'a pas d'enfants mais a dénoncé des menaces contre sa famille, rendant le gouvernement responsable de ce qui pourrait lui arriver. Pas de quoi lui enlever sa détermination: "Jusqu'à mon dernier souffle, je défendrai la Constitution", a-t-elle promis lundi. Une marche pour la soutenir Opposition - La marche de ce jeudi à Caracas sera accompagnée de mobilisations dans tout le Venezuela pour une journée qui devrait ouvrir la "phase décisive" de la campagne de manifestations contre M. Maduro. L'opposition vénézuélienne a annoncé hier une marche , ce jeudi, de soutien à la procureure dissidente Luisa Ortega, menacée en raison de ses critiques par le pouvoir du président Nicolas Maduro. Lors de cette marche, les manifestants tenteront de parvenir jusqu'au siège du Parquet, dans le centre de Caracas, a déclaré lors d'une conférence de presse le député Simon Calzadilla au nom de la Table de l'union démocratique (MUD), la coalition de l'opposition. Jusqu'à présent, chaque fois que des défilés de l'opposition ont essayé d'entrer dans le centre de la capitale, ils ont été bloqués par les forces de sécurité. En quelques semaines, Mme Ortega s'est affirmée comme une voix dissidente dans le camp chaviste (du nom de Hugo Chavez, président de 1999 à son décès en 2013). Auparavant considérée comme fidèle au pouvoir, elle est désormais considérée par les chavistes comme une "traîtresse" après avoir multiplié les critiques, notamment contre le projet d'assemblée constituante de M. Maduro. Elle a face à elle deux institutions de poids: la Cour suprême (TSJ), accusée par l'opposition de servir les intérêts du président, et l'armée, qui affiche son soutien inconditionnel à M. Maduro. La Cour suprême a autorisé mardi l'ouverture de poursuites contre Mme Ortega pour "fautes graves". Lors de sa marche de jeudi, l'opposition a annoncé qu'elle soutiendra Mme Ortega et aussi qu'elle réclamera l'ouverture d'une enquête contre le ministre de l'Intérieur, le général Nestor Reverol, pour "crimes contre l'humanité" commis selon elle par des militaires et des policiers au cours des manifestations anti-Maduro. Depuis le lancement le 1er avril d'une campagne de manifestations presque quotidiennes contre le pouvoir, 74 personnes ont été tuées en deux mois et demi et environ 1.500 ont été blessées. La marche de ce jeudi à Caracas sera accompagnée de mobilisations dans tout le Venezuela pour une journée qui devrait ouvrir la "phase décisive" de la campagne de manifestations contre M. Maduro, a déclaré le député Freddy Guevara, vice-président du Parlement, où l'opposition est majoritaire. Maduro dit autoriser des réunions avec les USA Le président vénézuélien Nicolas Maduro a déclaré hier qu'il avait autorisé des réunions de haut niveau avec des fonctionnaires des Etats-Unis, demandées selon lui par Washington. Au cours d'un conseil des ministres, M. Maduro a assuré que le Venezuela était disposé à dialoguer avec tous, "y compris avec le gouvernement des Etats-Unis". "Ils ont demandé des réunions importantes, de très haut niveau, je ne vais pas les dévoiler ni en parler, et j'ai approuvé" ces réunions, a-t-il déclaré. "Pourquoi est-ce que nous ne dialoguerions pas ? Nous devons dialoguer, bien sûr", a ajouté le président vénézuélien, alors que les relations entre Caracas et Washington sont particulièrement tendues. M. Maduro n'a pas donné de précisions sur les raisons pour lesquelles de telles réunions bilatérales pourraient avoir lieu. Le gouvernement chaviste (du nom de Hugo Chavez, président du Venezuela de 1999 à son décès en 2013) est sous une pression croissante des Etats-Unis alors que le pays vit une grave crise politique et économique.