Accord - Les deux principaux rivaux libyens, le civil Fayez al-Sarraj et le militaire Khalifa Haftar, se sont engagés hier en France à œuvrer conjointement pour sortir leur pays du chaos, appelant à un cessez-le-feu et à l'organisation rapide d'élections. Réunis à la Celle-Saint-Cloud, en région parisienne, à l'initiative du président français Emmanuel Macron, MM. Sarraj et Haftar ont "agréé" (mais pas signé) une déclaration en dix points qui a été lue en arabe devant la presse. "La solution à la crise libyenne ne peut être que politique et passe par un processus de réconciliation nationale associant tous les Libyens", selon la version française du texte. "Nous nous engageons à un cessez-le-feu et à nous abstenir de tout recours à la force armée pour ce qui ne ressort pas strictement de la lutte antiterroriste", ajoutent les deux rivaux, qui appellent à la démobilisation des milices et à la constitution d'une armée régulière. M. Sarraj, chef du gouvernement d'entente nationale (GNA) reconnu par la communauté internationale, peine à asseoir son autorité en dehors de Tripoli. Le maréchal Haftar, homme fort de l'est du pays accumule les victoires militaires sur le terrain, et nombre d'observateurs s'interrogent sur ses ambitions. e chef de l'Etat a également estimé que les deux protagonistes avaient "la légitimité et la capacité de réunir autour d'eux" et d'influencer les myriades de groupes opérant dans ce pays éclaté. "C'est une étape, ce n'est pas encore la paix en Libye", a estimé une source diplomatique française à l'issue de la rencontre, insistant sur le rôle du nouvel émissaire de l'ONU Ghassan Salamé, qui prend ses fonctions cette semaine et a assisté aux entretiens mardi. MM. Sarraj et Haftar s'étaient déjà rencontrés début mai à Abu Dhabi, mais sans résultat probant. La rencontre de la Celle-Saint-Cloud marque la victoire de la ligne "pragmatique" désormais prônée par la France, qui considère Haftar comme l'un des principaux remparts contre le terrorisme. Le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, qui était ministre de la Défense lors du précédent quinquennat, avait dépêché des militaires aux côtés du maréchal Haftar, et entretient d'excellentes relations avec ses parrains régionaux, l'Egypte et les Emirats arabes unis. L'une de ses premières initiatives en arrivant au Quai d'Orsay a été une tournée régionale consacrée à ce dossier. La déclaration agréée hier mentionne la construction d'un Etat de droit "souverain, civil et démocratique" en Libye, et cite le respect des droits de l'homme. La Libye, pays riche en pétrole, a sombré dans le chaos depuis la chute du colonel Kadhafi fin 2011: plusieurs autorités rivales et des myriades de milices se disputent le pouvoir, la menace jihadiste reste présente, et les trafics d'armes et d'êtres humains prospèrent. Un texte en 10 points n Le texte en dix points, lu en arabe, réaffirme que seule une solution politique permettra de sortir de la crise libyenne et réitère la validité des accords de Skhirat, signés en 2015 sous l'égide de l'ONU. Le cessez-le-feu prévu ne doit pas s'appliquer à la lutte antiterroriste, précise le texte, qui appelle également à la démobilisation des combattants des milices et à la constitution d'une armée libyenne régulière. Il souligne aussi la nécessité de bâtir un Etat de droit en Libye et d'y respecter les droits de l'Homme. Des élections «au printemps» Les frères ennemis libyens Fayez al-Sarraj et Khalifa Haftar se sont mis d'accord sur des élections "au printemps", au cours d'une rencontre près de Paris, a annoncé hier le président français Emmanuel Macron, saluant leur "courage historique". "Ce qui est extrêmement important, c'est que l'un et l'autre ont acté un accord en vue des élections au printemps prochain", a affirmé M. Macron au cours d'une conférence de presse, à l'issue des discussions entre les deux rivaux qui se sont déroulées sous son égide. "C'est un processus qui est essentiel pour l'Europe toute entière car si nous ne réussissons pas ce processus, à travers les risques terroristes, à travers les conséquences migratoires qu'un tel échec produirait, les conséquences sur nos pays sont directes", a insisté M. Macron. "Le peuple libyen mérite cette paix et nous la lui devons", a ajouté le président français. La descente aux enfers Ephémérides - La Libye, où des autorités rivales et de nombreuses milices se disputent le pouvoir, a sombré dans le chaos après la chute du régime de Mouammar Kadhafi en octobre 2011. Kadhafi tué - En février 2011, dans le sillage du Printemps arabe, une contestation contre le régime de Kadhafi, violemment réprimée, débute à Benghazi, dans l'Est, avant de s'étendre. En mars, une coalition menée par Washington, Paris et Londres, lance une offensive après un feu vert de l'ONU. Fin mars, l'Otan prend les commandes des opérations aériennes. Le 20 octobre, Kadhafi, en fuite depuis la prise de son QG à Tripoli par les rebelles en août, est tué dans le dernier assaut contre sa région d'origine, Syrte, à l'est de Tripoli. Le 23 octobre, le Conseil national de transition (CNT), organe politique de la rébellion, proclame la "libération totale" du pays. Le 8 août 2012, le CNT remet les pouvoirs à une Assemblée nationale, le Congrès général national (CGN). p Montée en puissance de groupes radicaux - Le 11 septembre 2012, quatre Américains, dont l'ambassadeur Christopher Stevens, sont tués dans une attaque contre leur consulat à Benghazi. Le groupe jihadiste Ansar Asharia, lié à Al-Qaïda, est accusé par Washington d'être derrière l'attaque. Le 23 avril 2013, un attentat à la voiture piégée vise l'ambassade de France à Tripoli, blessant deux gardes français. La capitale est le théâtre de plusieurs attaques contre des représentations diplomatiques et des diplomates, et la plupart des ambassades étrangères ferment. En juillet, les ports pétroliers de l'Est sont bloqués par des gardes partisans de l'autonomie, empêchant l'exportation de brut. Le blocage dure un an. p Deux autorités rivales - Le 16 mai 2014, le général Khalifa Haftar lance une opération baptisée "Dignité" contre les groupes islamistes à Benghazi, affirmant vouloir "éradiquer le terrorisme". Plusieurs officiers de la région orientale, y compris de l'armée de l'air, rallient sa force paramilitaire, autoproclamée Armée nationale libyenne. Fin août, après des semaines de combats meurtriers, Fajr Libya, une coalition hétéroclite de milices islamistes, s'empare de Tripoli. Le gouvernement et le nouveau Parlement élu en juin et dominé par les anti-islamistes, s'exilent dans l'Est. Le 12 mars 2016, trois mois après la signature d'un accord sous l'égide de l'ONU, un gouvernement d'union nationale (GNA) soutenu par la communauté internationale est proclamé. Son chef Fayez al-Sarraj arrive fin mars à Tripoli. Mais dans l'Est, le cabinet parallèle, soutenu par le général Haftar, et le Parlement lui restent opposés. p Des jihadistes chassés de Syrte et de Benghazi - Le 17 décembre 2016, Fayez al-Sarraj annonce la libération de Syrte, ancien fief libyen du groupe Etat islamique (EI), tout en affirmant que la guerre contre le terrorisme en Libye n'est "pas finie". L'EI, qui s'était emparé de Syrte en juin 2015 en profitant de l'absence d'Etat, a mené de nombreux attentats suicide meurtriers dans le pays. Le 5 juillet 2017, Khalifa Haftar, promu un an auparavant maréchal, annonce la "libération totale" de Benghazi des jihadistes, après plus de trois ans de combats. Le maréchal, soutenu par l'Egypte voisine ainsi que par les Emirats arabes unis, s'était rapproché de la Russie début 2017. p Rencontres Sarraj/Haftar - Début mai 2017, Fayez al-Sarraj et Khalifa Haftar conviennent lors d'une rencontre à Abou Dhabi d'oeuvrer à un règlement de la crise, mais sans annoncer de mesures concrètes. Le 25 juillet, ils se mettent d'accord sur des élections "au printemps", au cours d'une rencontre près de Paris, selon le président français Emmanuel Macron, qui salue leur "courage historique". Les défis à relever Créer un Etat central fonctionnel : depuis le renversement du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011, le pays est profondément divisé. Les rivalités régionales et tribales sont profondes et diverses autorités et milices se disputent le pouvoir, s'opposant parfois dans des combats meurtriers. Un gouvernement d'union nationale (GNA) est installé à Tripoli depuis mars 2016 avec Fayez al-Sarraj à sa tête. Soutenu par la communauté internationale, il peine toute fois à asseoir son autorité dans tout le pays et ne contrôle que quelques régions dans l'ouest. A l'est, dans la Cyrénaïque, une autorité rivale règne sur de vastes pans de territoire. Le maréchal Khalifa Haftar, autoproclamé chef d'une force baptisée Armée nationale libyenne (ANL) en est l'homme fort. Le sud du pays se sent lui le grand oublié des autorités qu'elles soient de l'est ou de l'ouest. Un des défis pour mettre fin aux violences et à l'insécurité serait la mise en place d'institutions --gouvernement, armée, police--capables d'exercer leur autorité sur l'ensemble du pays. Unifier les forces rivales : des centaines de milices aux allégeances mouvantes se disputent le pouvoir en Libye. Certaines sont liées aux autorités politiques rivales, d'autres se sont formées autour d'activités purement criminelles. Depuis 2011, aucune autorité libyenne n'a réussi à encadrer ces milices ou à intégrer leurs combattants dans une force nationale. Les forces menées par Khalifa Haftar, soutenues par l'Egypte, les Emirats arabes unis et la Russie, ont engrangé récemment un important succès contre les jihadistes dans la ville de Benghazi (est). Mais, les puissantes milices de Misrata, ville située à 200 kilomètres à l'est de Tripoli, se sont elles alliées au GNA lui permettant notamment de chasser les jihadistes du groupe Etat islamique (EI) de la ville côtière de Syrte. La constitution d'une armée unifiée demeure un des défis les plus importants, notamment depuis que la Libye est devenue une plaque tournante de la contrebande d'armes mais surtout du trafic de migrants qui tentent depuis ses côtes la périlleuse traversée de la Méditerranée pour rejoindre l'Europe. Relancer l'économie : la Libye dispose des plus grandes réserves pétrolières d'Afrique, mais les multiples conflits qui ravagent le pays ont empêché la pleine exploitation de ces ressources. La fermeture de la majorité des champs et terminaux pétroliers depuis 2014 a coûté plus de 130 milliards de dollars (111 milliards d'euros) à la Libye. Depuis la réouverture du port de Ras Lanouf en septembre 2016, les exportations de brut ont pu reprendre et la production a dépassé la barre des 760.000 barils par jour (bj), a annoncé en mai la compagnie nationale pétrolière NOC. Mais les autorités rivales se disputent également cette ressource cruciale et l'économie libyenne continue de rester moribonde. Le Produit intérieur brut libyen a diminué de 2,5% en 2016, selon la Banque mondiale et ne constituait plus que la moitié de sa valeur avant la révolution de 2011. Le chômage élevé notamment parmi les jeunes constitue une source d'inquiétude, relève l'institution. Améliorer la vie quotidienne des Libyens : la vie quotidienne des Libyens est devenue une épreuve avec des pénuries d'électricité, de carburant et d'eau quotidiennes, une crise des liquidités, une dévaluation sans précédent de la monnaie nationale, ainsi qu'une insécurité étouffante. Les femmes ne sortent plus le soir, même accompagnées. Les car-jacking deviennent très courants, dans les quartiers résidentiels, même en plein jour. Les bijoutiers, même armés, ont vidé leurs vitrines de peur de se faire cambrioler. Les sabotages d'installations électriques, les vols de câbles, la destruction des infrastructures et les menaces portées contre les techniciens