Le souci d'ordre et de paix pousse aussi les populations citadines à se rallier au conquérant, dont elles attendent une protection contre l'anarchie et les déprédations des nomades. La seule résistance opiniâtre viendra finalement des Berbères qui, comme ils s'étaient jadis soulevés face à Carthage et face à Rome, et comme ils se soulèveront plus tard face aux Turcs, resteront toujours, face à la domination musulmane, en état de résistance ouverte ou larvée. Les rapports avec les peuples soumis ont été, dans tous les cas, facilités par la tolérance des envahisseurs, gens assez indifférents religieusement, voire sceptiques. Aussi pas de persécutions, pas de conversions forcées. La seule exigence manifestée par les vainqueurs est d'ordre fiscal : un traité de capitulation en bonne et due forme, passé avec les autorités religieuses, garantit, en échange de la levée de l'impôt par les notables des différentes communautés, la liberté du culte et la poursuite de l'activité économique. La conquête a été si rapide qu'il n'y a pas eu hiatus, coupure, mais bien continuation de l'état préexistant, dans tous les domaines : institutions, rouages et personnels administratifs, procédures, bureaux, impôts et, enfin, monnaies. La conquête ne s'est pas non plus traduite par des destructions. Il n'y a pas eu de villes brûlées ou mises à sac, la seule exception notable étant le pillage des palais sassanides riches d'or. Donc, pas de désorganisation : les populations soumises fournirent tout naturellement les cadres de l'administration, l'outillage mental de peuples cultivés. Les nouveaux convertis chrétiens, juifs ou perses, ces mawali (clients) comme on les appelait alors, vont jouer un rôle décisif dans l'élaboration de cette civilisation syncrétique qu'est la civilisation «musulmane». Même dans la codification de la grammaire arabe, même dans l'établissement du texte définitif du Coran, interviendront les non-Arabes, fils des vieux peuples de l'Orient rompus aux techniques intellectuelles. L'Orient musulman, c'est-à-dire les anciens territoires sassanides (Mésopotamie et Perse) et byzantins (Syrie et Egypte), se comporte ainsi comme le creuset d'une civilisation de synthèse qui s'étendra ensuite sur l'ensemble du domaine de l'islam : du côté oriental, vers l'Asie centrale, du côté occidental, vers l'Ifriqiya (Tunisie et Est algérien), le Maghrib al-aqsa (Extrême-Occident), la Berbérie, l'Espagne et la Sicile. C'est, grâce à la conquête musulmane que l'Occident a repris contact avec les civilisations orientales et, à travers elles, avec les grands mouvements mondiaux de commerce et de culture. Alors que les grandes invasions barbares des IVe et Ve siècles avaient entraîné la régression économique de l'Occident mérovingien puis carolingien, la création du nouvel empire islamique entraîna, pour ce même Occident, un étonnant développement et la relance de sa civilisation. Si l'on considère maintenant les conséquences profondes de la conquête, trois problèmes doivent être posés nettement et séparément : l'islamisation, l'arabisation, la sémitisation. (à suivre...)