Nous, le commando «Si Zoubir Souleimane», étions dans la Région III de Cherchell, pas loin du village Damous. On était avec la section du chahid Si Abdelhak Noufi, en attente pour faire une embuscade à un convoi militaire français très important, lorsqu?un agent de liaison remit une lettre de commandement de Wilaya IV à Si Zoubir, lui demandant de venir d?urgence dans la région de Blida avec son commando. Si Zoubir a passé les consignes à Si Moussa Kellouaz en lui disant : «Je pars seul pour pouvoir marcher jour et nuit et vite, vous avec le commando vous me suivez, rendez-vous à Blida Inchaalah.» Nous sommes arrivés vers 2 heures du matin au douar Tiberguent. Chaque groupe a rejoint le refuge désigné. Il y avait dans ce douar un groupe de fidayine du Sahel et de la Mitidja. Si Moussa Kellouaz alla discuter avec eux ; une demi-heure plus tard, il nous fit appel à un rassemblement dans un hangar. Nous avions remarqué que Si Moussa avait les yeux rouges et embués de larmes. Il nous dit : «Mes frères, il faut avoir du courage, j?ai à vous annoncer une douloureuse et mauvaise nouvelle, Si Zoubir est mort, tombé au champ d?honneur.» Allah yarhamou. Nous ne pouvions le croire. «Ce n?est pas vrai, ce n?est pas possible ! Si Zoubir n?est pas mort» Hélas ! Ce fut vrai, la nouvelle nous avait tous foudroyés. Tous avaient pleuré le martyr. Si Moussa reprit la parole : «Allons, mes frères, ayez du courage et de la foi, Si Zoubir pour nous n?est pas mort, il est toujours vivant dans nos c?urs». Quelques instants plus tard, rentrèrent les fidayine, dont M?hamed Mouazi dit Si Billel de Koléa et Si Zoubir Zouragni de Blida. Ils nous racontèrent comment Si Zoubir et les 26 étudiants étaient morts au douar de Sbaghnia dont une jeune fille le 22 février 1957. Le 22 février 1957, le matin très tôt, le Commandement de la Wilaya IV a chargé Si Zoubir d?aller au douar Sbaghnia où se trouvaient plus de 400 lycéens qui avaient fui les villes, après avoir fait la grève générale et la grève des 8 jours des commerçants au début de l?année 1957. Si Zoubir demanda à son secrétaire Si Khaled de Koléa de l?accompagner, celui-ci lui répondit : «Si Zoubir, je ne peux venir avec vous, j?ai plusieurs rapports à finir.» Si Zoubir insista encore une fois : «Allez, viens, une balle de 12/7 et on n?est plus de ce monde» Si Zoubir, seul, alla rejoindre les Etudiants au douar Sbaghnia. Il a commencé a sélectionner parmi eux, ce qu?il pouvait garder au maquis comme secrétaires, commissaires politiques, agents de renseignement et intendants et d?envoyer les autres vers la Tunisie ou le Maroc afin de terminer leurs études. Vu le nombre important d?étudiants dans ce douar et vu qu?ils sont restés aussi longtemps, un traître les a dénoncés aux Français. Vers 3 heures de l?après-midi, ils étaient encerclés par une quinzaine d?hélicoptères Sikorsky. Si Zoubir a donné l?ordre aux étudiants de sortir des refuges, de se replier en remontant l?oued. Lui seul a commencé l?accrochage en mitraillant les hélicoptères pour les empêcher de se poser, eux aussi tiraient. Si Zoubir comme un «Lion» riposte tout en criant aux étudiants : «Montez vite!» Lorsqu?une balle de 12/7 l?avait atteint au cou, il est mort sur place comme il l?avait prédit à Si Khaled le matin même. 27 étudiants ont trouvé la mort, le reste a pu se sortir de cette opération héliportée et ce grâce au courage et au sacrifice du valeureux Si Zoubir, mort héroïquement pour sa «glorieuse patrie». Si Moussa a remis, après le récit de ce violent combat à Sbaghnia, 2 mitraillettes MAT 49 à Si Billel et à Si Zoubir Zouraghi pour faire des embuscades et des attentats dans la Mitidja. Les deux valeureux fidayine bien plus tard sont tombés au champ d?honneur dans le Sahel Mahelma. Nous avions pris le départ vers Médéa où on s?était embusqué à côte du douar de Fadinarte, lorsque des avions Piper-Cubmouchards, survolaient la région en jetant des tracts, juste au-dessus de nos têtes. Il y était écrit: «Les forces armées françaises ont anéanti à jamais la bande de rebelles de Si Zoubir et toutes leurs armes ont été récupérées.» Encore un mensonge de plus de l?armée française et de son service psychologique (SAS), parce que la bande de fellagas en question, c?était nous, le commando. On était là, vivants et prêts a venger Si Zoubir notre chef et les 27 étudiants. Par contre, les parachutistes français se sont acharnés sur les étudiants sans armes et sur des civils en essayant de détruire psychologiquement le moral de notre vaillant et courageux peuple. Vers 3h de l?après-midi, voyant qu?il n?y avait pas en vue des soldats français, nous nous sommes rapprochés du douar de Tadinarte, tout à fait en haut du ruisseau des singes pas loin de Mouzaïa les mines. Nous étions exactement dans la région de la haute montagne de Tamesguida. Notre commando était composé de 35 combattants; trois groupes de onze moudjahidine. Deux groupes sont descendus vers les refuges. Quant au nôtre, il s?est réfugié dans une maison vide qui servait pour les réunions des habitants du douar. Elle était construite au bord d?une colline, et était constituée d?une seule pièce de 6 mètres sur 4 mètres, avec une fenêtre donnant sur un grand ravin. Si Moussa et les deux autres groupes sont partis vers le douar qui se trouvait à une vingtaine de minutes de marche, plus bas de l?endroit ou nous étions, dans cette maison surplombant le ravin. Nous nous sommes allongés pour nous reposer, nous étions fatigués; mais il ne fallait pas dormir, nous discutions entre nous. Le seul accès pour venir à ce refuge est par le sentier qui débute à la fin de la colline. A un moment, je ne sais comment l?un de nous qui était allongé face à la porte et au petit sentier, a dit : «Que pensez vous mes frères, si l?ennemi arrive et installe une mitrailleuse en face de cette porte sur le sentier et commence à tirer sur nous, comment nous allons faire ?» Chacun de nous a donné son point de vue, l?un d?eux a dit : «C?est trop tard, l?ennemi ne vient pas à cette heure de l?après-midi.» Un autre a dit : «Nous plaçons notre fusil-mitrailleur FM BAR devant la porte, nous nous battrons, mais il y aura beaucoup de morts parmi nous. On n?a pas de solution. Nous sommes entourés de ravins, sur les deux bord du sentier c?est le ravin, derrière la maison c?est pire, cette maison juchée, construite sur un rocher.» Un autre moudjahid a dit : «Nous sauterons par cette fenêtre, on risque de se casser une jambe, mais c?est mieux que de se trouver devant une mitrailleuse et d?être tué.» Nous nous sommes penchés pour voir la profondeur du ravin accidenté. Un autre compagnon nous dit : «Laissons ce point noir de côté, parlons d?autre chose; je ne vois pas des soldats français, venir au maquis en fin d?après-midi.» On attendait qu?on nous apporte un peu à manger et de l?eau. Si Moussa avant de nous quitter, nous a dit: «Je vais essayer de trouver quelque chose à manger que je vous envoie avec un civil, patientez et faites attention jusqu?au soir.» Un peu moins d?une heure, tout en discutant, nous voyons de la porte de la maison, des hommes en tenue militaire qui couraient. Nous étions étonnés et tout de suite nous nous sommes levés. On ne croyait pas que c?étaient des soldats français, ils commencèrent à placer, leurs fusils-mitrailleurs. C?était tellement rapide, à nous de prendre vite une décision pour sortir de la maison, par la porte, mais pas sans s?engager dans un combat qui serait à notre total désavantage. Comme on avait parlé avant de cette grave situation, nous avons pensé sauter par la fenêtre, il fallait faire vite parce que l?ennemi commençait à tirer sur nous un tir barrage. Grâce à Dieu, la fenêtre n?était pas en face de la porte et le mur de la maison était large et solide pour nous protéger des balles. Sans affolement, mais inquiets, nous avons sauté un par un par la fenêtre. Nous avons dégringolé le ravin, heureusement rien de cassé. Avant que l?ennemi ne réagisse, nous avons déjà traversé l?oued. Nous avons entendu des tirs de fusils-mitrailleurs de l?autre côté. C?étaient nos deux groupes qui se sont accrochés avec une autre partie de soldats français. Nous ne nous sommes regroupés après notre fuite de la maison que grâce à Dieu sans dégâts ni blessures graves après avoir sauté de la fenêtre. Nous avons roulé en boule sur ce terrain accidenté, tombant, jusqu?en bas de l?oued, nous avons eu quelques écorchures, mais aucun de nous n?a eu une entorse ou une fracture. Nous ne regrettons pas que l?un de nos compagnons ait eu l?idée de parler de l?éventualité que si l?ennemi nous bloquait la sortie de la porte, calmement sans bousculade, nous sortirions par cette fenêtre, c?était notre seule chance. Nous avons couru pour prendre position à un emplacement en attendant le passage des soldats français. Les deux autres groupes ont pris le dessus sur l?ennemi qui a fait jonction avec les autres soldats qui ont attaqué la maison où nous étions. En prenant la fuite, les soldats, poursuivis par les nôtres, devaient passer sur une autre route parallèle à une centaine de mètres sur celle ou nous nous trouvions en embuscade. La seule chose qu?on pouvait faire, c?était de les prendre à revers et de tirer sur eux. L?ennemi était pris entre nos deux feux, nos deux tireurs de fusils-mitrailleurs, ceux qui ont des fusils Garand ont fait subir beaucoup de pertes à l?ennemi. A coté de moi, mon compagnon Si Listikhlal Ben Mira tirait en me disant : «Djebtou benelkelb (je l?ai eu le fils de chien)», a chaque fois qu?il abattait un soldat. Nous devions arrêter le combat parce que la nuit tombait. Les soldats français tout en fuyant vers un lieu de regroupement se renforçaient et nous n?avions pas voulu courir le risque d?accident, nous étions éparpillés, nos deux groupes de l?autre coté. Nous nous sommes retrouvés tous au douar pour nous réunir et savoir comment l?ennemi a pu nous surprendre, surtout le nôtre qui était dans la maison. Ils sont venu en camions par la route le matin, l?ennemi avait des renseignements qu?il y avait des fellagas dans le douar Tadinarte, laissant leurs camions en bas, très loin. Les soldats français ont pris les petits sentiers de la forêt pour arriver vers nous, sans être aperçus ni par les habitants, ni par les guetteurs, ni par les moussebiline. Nous pouvons dire que nous avions eu de la chance grâce à Dieu, à la fois que nous avons en lui, nous sommes sortis avec une petite victoire sur l?ennemi. L?ennemi a pris la fuite en laissant derrière lui plusieurs morts et blessés sans aucune perte de notre côté. Notre commando avait décidé de rester dans la région jusqu?à la vengeance de la mort de Si Zoubir et des étudiants tombés au champ d?honneur le 22 février 1957 au douar Sbaghnia. GLOIRE A NOS MARTYRS