Pari Qui peut se targuer d?avoir été invité à dîner chez quelque famille de conditions pas nécessairement modestes pour parfois y manger du poisson ? Gageons que ces veinards ne sont pas légion. Une certitude que pas même les autorités officielles ne tentent de réfuter : parmi tous les produits de consommation, ceux de mer sont largement en marge des habitudes culinaires des Algériens. Car il s?agit bien d?habitudes et non de traditions culinaires dans la mesure où la rareté de cette denrée au sein des chaumières ne tient pas de quelques caractéristiques culturelles en matière de gastronomie nationale, mais de facteurs bien plus terre à terre. Le poisson, plus que tout autre produit de consommation, est à mille lieues des bourses des ménages même les moins modestes. Cette évidence, prouvée par le rapport prix-pouvoir d'achat des Algériens, ne semble pourtant pas l'être pour certains détaillants et même de simples citoyens pour lesquels une table algérienne où trôneraient merlan, pageot et crevettes n'est tout simplement pas dans les m?urs culinaires de nos concitoyens. Rencontré à la pêcherie d'Alger, un détaillant a eu tellement de mal à justifier ses prix mirobolants qu'il a fini par tenter l'argument alibi de la «rustrerie» de la cuisine algérienne comparativement à ce qu'exigerait comme raffinement (sic) la préparation d'un mets de poisson. «Il faut le dire, nous autres sommes habitués aux pâtes, à la loubia, aux lentilles et au bouzelouf, on ne pense pas encore à acheter du poisson», croit-il savoir. Evidence absurde puisque l'on se demande bien alors, pourquoi notre brillant vendeur de poisson tient-il tant à ses étals ! Explication tout de même : «Je compte surtout sur les commandes des restaurateurs du littoral, le plus souvent pour rentabiliser mon affaire», révèle-t-il sur un ton volontairement malicieux. Il ajoute : «Sinon pour les particuliers?» Ils doivent être effectivement bien particuliers ces acheteurs de crevettes à 2 500 DA le kilo, le merlan à 1 200 DA, le rouget à 800 DA, la sole à 900 DA, l'espadon à 2 000 DA? Des prix que l'on retrouve partout sur les marchés algérois et hors d'Alger, à quelques dinars près. La sardine, qui demeure le poisson le plus prisé par les Algériens, pour son prix relativement bas, tend à ne plus l'être toutefois puisqu'elle est désormais en passe de se stabiliser autour des 150 DA au lieu des 100 DA le kilo, parfois moins. La «traditionnelle» chtitha sardine, si délicatement épicée, fuira-t-elle aussi notre «culture culinaire» ?