InfoSoir : Combien de personnes vivent hors de leurs pays d'origine ? P. Taran : Près de 200 millions de personnes, pour la majorité en âge de travailler, dont près de 90 millions sont économiquement actives. Parmi ces 90 millions, près de 8 millions de personnes se trouvent en Afrique mais hors de leur pays d'origine et au moins 3 millions d'Africains se trouvent en Europe. Comment jugez vous l'apport du travail des migrants pour leurs pays d'origine ? Nous voyons que dans les pays en voie de développement, la migration représente un apport économique très important. Au moins 77 milliards de dollars sont envoyés chaque année par les migrants à leur pays d'origine. Pour quelques pays, cela représente près de 40% des revenus en devises. Il est clair que les migrants vivent dans des conditions difficiles, en Europe. Qu'en dites-vous ? En Europe, les migrants accomplissent souvent les travaux difficiles, dégradants et sales, là où il n'y a plus de travailleurs nationaux dans des domaines comme l'agriculture, la construction et les petites industries. Qu?en est-il de la migration clandestine ? On sait qu'en Europe, près de 15% des 25 millions de la totalité de la population migrante, sont en situation irrégulière. Mais le pire, en Europe ou ailleurs, est qu'il n'y a pas une manière d'assurer leurs droits au travail. Ils sont souvent exploités, abusés. Ils n'ont pas la possibilité de s'organiser en syndicat pour défendre leurs droits et dénoncer leurs conditions de travail. Existe-il une législation pour les protéger ? Selon les conventions internationales, tout travailleur a le droit de s'affilier à un syndicat, avec ou sans statut légal ou même sans autorisation de travail. L'intention existe, mais pas la volonté. Pour le Maghreb, il y a des écarts énormes entre les statistiques officielles et les estimations des ONG, des employeurs et des institutions de recherche. Il n'existe pas de données fiables. C?est l'un des défis et enjeux posés aux gouvernements algérien, tunisien et marocain par le projet de renforcement des capacités et l'incorporation de perspectives pour mieux gérer la migration. Quel est le rôle de l'OIT ? Nos trois préoccupations majeures sont d'abord de dire que les travailleurs migrants sont des humains avant tout. Ils ont des droits et de la dignité. Il est temps d'insister avec les partenaires qu'il faut avoir une bonne base de législation pour assurer la protection et les droits, même des personnes qui n'ont peut-être pas un statut légal. Assurer aussi une bonne pratique politique d'émigration pour permettre l'établissement de canaux légaux pour le mouvement des personnes. Lors de la conférence internationale du travail en 2004, l'OIT a adopté beaucoup d'actions avec les 177 pays membres pour mieux gérer la migration tout en respectant la dignité et les droits des travailleurs migrants. L'OIT aurait-elle un avis à émettre sur le cas de l'Algérie ? D'ici à une vingtaine d'années, l'Algérie connaîtra une décroissance démographique. On prévoit que cela se passera de la même manière qu?en Europe. On pourrait avoir beaucoup de problèmes : manque de population et manque de prévisions. La croissance des idées xénophobes et racistes n'a pas été stoppée en Europe. Et maintenant, l'Europe a besoin d'admettre légalement les travailleurs migrants car il y a un grand écart entre le besoin de croissance économique de la main-d'?uvre et des politiques migratoires qui ne répondent pas à leurs besoins. Mais l'Europe a quand même besoin de ces travailleurs. (*) Spécialiste principal des migrations à l'Organisation internationale du travail.