Appréhension «Notre hantise, c?est surtout le feu. Aujourd?hui, il y a une pluie légère, c?est rassurant.» Il est 8 heures, dans la grande cour de la caserne de la Protection civile. Comme tous les matins, les camions de première intervention et de lutte contre le feu, ainsi que des ambulances, subissent la visite technique des mécaniciens. Les médecins vérifient l?équipement des ambulances. En face, près du poste de garde, la maxime des sapeurs-pompiers : «Sauver ou périr» peinte en rouge, est inscrite en grandes lettres. Le capitaine Oulbani, qui vient d?arriver, se dirige vers le Centre de coordination opérationnelle (CCO) situé au premier étage du bâtiment central, isolé des autres services par une grille. «C?est le c?ur de la caserne», dit-il. Dans une grande salle rectangulaire, une multitude d?appareils de communication sont posés sur des bureaux. A gauche, les micro-ordinateurs et la station radio. A droite, deux standards téléphoniques, dont l?un comporte plus d?une cinquantaine de lignes directement reliées aux entreprises de la ville (banques, sociétés?), sont réservés aux urgences. Entre les deux standards, de nombreux appareils connectés à la wilaya, à la police, à la gendarmerie, au port et à l?aéroport. Et puis, l?appareil ne cesse de sonner, le 14, que les citoyens appellent pour demander de l?aide. Mais certains mauvais plaisantins l?utilisent pour de faux appels, comme l?explique le sous-lieutenant Mebarki, chef du CCO. «Bientôt, cette ligne sera dotée d?un afficheur qui mettra fin à ces actes d?incivilité.» Au fond de la salle, un enregistreur de communications voisine avec un détecteur de radioactivité relié à une antenne placée sur le toit. Au mur, près de l?opérateur, le déclencheur de sirène permet, par messages sonores, de donner l?alerte aux groupes d?intervention en attente dans les salles du rez-de-chaussée. Tous connaissent par c?ur le code de la sirène et se préparent en conséquence. «Le facteur temps est le plus important pour nous, déclare le capitaine, et nos hommes sont entraînés pour l?intervention rapide.» 9h 15 : 4 sonneries courtes. Un malade à évacuer à la cité Plaine-Ouest. L?ambulance sort du garage et se dirige vers la sortie, tandis que le responsable du CCO donne ses instructions par radio à son personnel. 9h 20 : un appel de Sidi Ammar. Un citoyen signale un accident de la circulation. Il déclare qu?un G9 est renversé sur la chaussée. Le camion de premiers secours sort en trombe, suivi d?une ambulance médicalisée. Fausse alerte : il s?agit de la carcasse d?un véhicule accidenté la veille et qui n?a pas été évacué. «Le citoyen a dû signaler l?accident de son portable, sans s?arrêter pour vérifier.» «Parfois, déclare Mebarki en souriant, il nous arrive d?opérer des interventions assez inhabituelles, comme celle, il y a deux mois, du sauvetage d?un petit singe appartenant à un photographe du Cours de la Révolution qui s?était réfugié sur la dernière branche du grand arbre du cours. Nous avons dû utiliser la grande échelle de 28 mètres pour récupérer l?animal. C?était assez spectaculaire.» Dans la salle du CCO, il y a toujours quatre pompiers de service, chargés de la communication. Ils travaillent 24 heures sur 72. Le téléphone ne cesse de sonner pour des renseignements, par erreur, pour rien. «Un appel sur dix est important», déclare l?opérateur. Mais aucune sonnerie n?est négligée. La réponse est immédiate : «Himaya madania !» «Notre hantise est surtout le feu. Aujourd?hui, il y a une légère pluie, nous sommes plus tranquilles.» Il parle des derniers feux qui ont ravagé les forêts de Oued el-Aneb et Chetaïbi. «C?est la première fois que la ville a été réellement menacée. Sur le chemin de Seraïdi, les flammes n?étaient plus qu?à 2 km de la ville. Nous avons dû évacuer plus de 10 familles. On a dû lutter de 10 heures à 19 heures. C?était terrible.» 10h 30 : appel de l?unité des pompiers de Saint-Cloud, sur la ligne spéciale. Une nappe d?huile s?approche de la plage, amenée par les vagues du large. On n?en connaît pas l?origine. Le sous-lieutenant ordonne l?évacuation des baigneurs, en attendant de plus amples informations. 10h 32 : c?est la police qui appelle, pour s?informer de l?incident. La hiérarchie est mise au courant et le colonel se rend sur les lieux pour évaluer la situation. Une commission de la wilaya composée d?éléments de la protection de l?environnement et du bureau d?hygiène est dépêchée à Saint-Cloud. Le prélèvement est transporté au labo. En attendant les résultats, la plage est interdite aux baigneurs. Au CCO, on suit les événements avec attention : «C?est probablement de l?huile de vidange des bateaux que le vent a dirigée vers la plage.» Mais, pour plus de précautions, l?officier a sorti d?une armoire un plan d?intervention comportant des mesures d?urgence à prendre en cas de pollution grave des eaux maritimes. «On ne sait jamais !», dit-il. Soudain, un pompier en civil, portant des lunettes noires, fait son apparition. Il veut remettre à son supérieur un certificat médical. Exclamations dans la salle : «Ne t?approche pas ! Pose ton papier et file !» L?autre, pour les narguer, enlève ses lunettes. Ses yeux sont enflés, il est atteint de conjonctivite. Il fait mine d?entrer mais ses camarades, en riant, le poussent dehors et referment la porte. La téléphone ne cesse de sonner. C?est le 14. «Himaya madania !» L?opérateur écoute un moment et raccroche. Encore un faux appel. 12h 15 : une femme est blessée à la jambe à l?Elysa. Sur les 4 retentissements de sirène, l?ambulance médicalisée sort en trombe. A son bord, la doctoresse reçoit les informations par radio. 12h 45 : même scénario. C?est un vieillard asthmatique en détresse respiratoire à Beauséjour. 12h 55 : une femme a oublié ses clés à l?intérieur de son appartement fermé. «Appelez d?abord la police pour confirmation, puis rappelez-nous !» 13h 35 : Un appel au feu du côté de Oued-Forcha, émanant de la conservation des forêts, sur le grand standard. Alerte : 4 coups longs. Les pompiers, le casque à la main, se précipitent dans le camion de premiers secours. La radio crépite. Sur la terrasse du CCO, l?officier observe la fumée qui monte au loin, derrière les bâtiments de Oued-Forcha. Appel radio : «C?est un feu d?herbes sèches et d?ordures. Nous l?avons maîtrisé. Retour à la caserne. Terminé !» 15h 00 : au moment où je renferme derrière moi la porte du Centre de coordination opérationnelle, j?entends une nouvelle sonnerie : «Himaya madania !»? Y. Z.