Ambiance n Dans la maison de Salah, pendant le mois sacré, sa s?ur mariée et ses marmots redonnent un sens à la vie. Il a tutoyé la mort avant de lui échapper. Et ils sont beaucoup comme lui. Ceux qui sont revenus de l?enfer. Il était face à son bourreau, les yeux dans les yeux. Il sombre dans le néant et se réveille caressé par le soleil, sans savoir comment il a survécu. A 42 ans, celui qui est aujourd'hui ébéniste dans une fabrique située au bord d?une route poussiéreuse a bien cru se voir partir. «J'avais même récité la chahada trois ou quatre fois.» Malheureusement, pour son épouse, ses deux petites filles, ses parents?, le miracle n?a pas eu lieu. Salah B. n?en peut plus. Huit ans déjà ? Huit ans à essayer de vivre dans la peau d?un ébéniste et de gagner de l?argent pour faire semblant de vivre avec les fantômes d?une famille totalement décimée. Il est seul dans sa bicoque retapée en attendant la venue de sa s?ur mariée et de ses neveux pour passer le ramadan «en famille». C?est devenu presque une tradition. Le beau-frère ramène chaque ramadan son épouse, la s?ur de Salah, dans la maison parentale à Raïs, avec ses petits-enfants qui avec leur air diablotin et leur espièglerie redonnent vie à la maison. «Ah le ramadan ! vraiment, je revis en cette période. On passe même l?Aïd ensemble puis c?est un grand au revoir.» Les liens ne se sont jamais aussi bien resserrés entre ce qui reste de la famille. Salah ne s?est pas remarié. Il vit seul. Sa s?ur, ses amis, ses voisins ont tout le temps exercé sur lui une pression pour le pousser à refaire sa vie, mais lui dit avoir sa propre philosophie. «La seule femme que j?ai aimée est partie. Mes enfants sont partis. Mes parents sont partis. Je suis seul et je le resterai jusqu?à mon départ.» Moncef, un jeune de ce quartier meurtri, a indiqué qu?il est «pour la paix, car ne connaît sa signification que celui qui en a été sevré pendant de longues années, comme les habitants de ce quartier», qui se rappellent toujours cette nuit d'horreur où presque chaque famille avait perdu un ou plusieurs membres dans ce massacre collectif. Cette nuit, a-t-il ajouté, marque le début, pour ceux qui ont survécu, d'une vie hantée par un sentiment permanent de peur. Longtemps silencieux, Walid intervient pour décrire la scène de l'exécution de sa mère par les assassins. «Je n'oublierai pas», a-t-il affirmé. Ces jeunes et beaucoup d'autres de ce quartier, longtemps considéré comme un «no man's land», divergent sur beaucoup d'aspects, mais sont unanimes quant aux espoirs permis depuis le 29 septembre et appréhendent l'avenir avec sérénité. Pour sa part, Mme Nadia D., une des rescapés du massacre de Raïs et dont la fille avait échappé de justesse à la décapitation et assisté à l'exécution de sang-froid de sa s?ur, s'est prononcé, avec sagesse, pour la charte. «Je suis pour le projet de la réconciliation pour le bien de mes enfants encore en vie : Abdenour, Manal, Nabil et Walid, auxquels j'espère un avenir radieux», a-t-elle déclaré contenant difficilement ses émotions. Pourtant, elle n?est animée d?aucun esprit de vengeance. «Même si je rencontre ceux qui avaient tué ma fille Rachida à la fleur de l'âge, je m'en remettrai à la justice divine», a-t-elle souligné.