Echéance n L?Abattoir et ses alentours seront démolis. Un ultimatum est lancé pour février 2006. Le passage du tramway et le nouveau Plan d?occupation des sols (POS) vont devoir changer de fond en comble le visage de l?îlot des abattoirs. Dans sa configuration futuriste, l?îlot sera un grand centre d?affaires, un épicentre du nouvel Alger moderne avec banques, assurances, sièges de sociétés et concédera aussi une partie de son territoire au passage du tramway dont le point de départ sera, justement, la rue des Fusillés et le terminus Tafourah. Les commerces, l?abattoir et les habitants seront délocalisés non sans indemnités et les travaux vont devoir commencer dès le lendemain d?une totale évacuation. Ainsi donc, un lieu de dégustation et d?histoire dont quelques pages ont été tournées un triste jour du colonialisme durant lequel une centaine d?Algériens sont tombés sous les balles assassines de l'OAS, est appelé à être désormais évoqué au passé. Pour beaucoup, en effet, avec la disparition de ces «douérate» à l?inspiration méditerranéenne, à un seul niveau et à double rempart, c?est tout un pan de l?histoire qui va disparaître. L?abattoir, au fil des ans, s?est bâti un label en voyant naître un grand nombre de commerces ayant choisi la grillade comme spécialité. Au départ, âmi Ahmed, dans sa petite bicoque, juste devant l?entrée principal de l?abattoir. La scène se passe dans les années 1940. l?année où la brochette se vendait à mille fois rien. Ami Ahmed veut profiter du magma quotidien vécu dans et aux alentours de l?abattoir. Il ramène de la braise, deux kilos de viande fraîche et commence à griller. Pour un coup d?essai ce fut un coup de maître. Le commerce marche bien. Ce pionnier ne sera imité que quelques années plus tard, après sa mort, par d?autres aventuriers, pour qui la grillade était, au tout début, un commerce redouté, tant ils considéraient que les Algériens étaient pauvres dans leur grande majorité et ne se permettaient pas le luxe de s?offrir un buffet seigneurial. Au fil des ans, l?îlot des abattoirs se construit pour devenir une destination prisée par tout Alger et au-delà, et que rien ne semblait prédestiner à une mort aussi ordinaire. La rue des Fusillés, pour ceux qui se rappellent les temps immémoriaux, ce sont des histoires restées enfouies dans la tête. Enfouies, car elles disent bien des choses. «Ce n?est pas gai tous les jours, mais c?est doux.» Entouré d'objets de famille, Madani parle des siens, de ses exploits, de ses deux enfants handicapés et de l?hôtel de 250 lits qu?il comptait ériger contre vents et marée, lui qui, à trois reprises, a refait son permis de construire. «J?imaginais de folles choses, je rêvais d?un hôtel de 250 lits, mais on vient chaque jour nous dire qu?il faut tout évacuer. Evacuer quoi ? Partir où ?» Un tas de questionnements qui laissent figé celui dont la démolition de huit bicoques n?est qu?une question de temps. Les horizons de bonheur entrevus sont désormais assombris !