Contraintes n Ammi Hocine, 61 ans, est fils de chahid. Il habite dans une petite chambre d?hôtel depuis 1996. Auparavant, il vivait dans une petite pièce située sur la terrasse d?un immeuble. Barbe grise, longues moustaches, il ressemble à un poète du Siècle des Lumières. Il regarde le monde avec des yeux amusés et un c?ur triste. Parlant lentement, il mâche chaque mot avant de le lancer tel un fauve sur la bêtise humaine. Cet homme a vécu toutes les misères possibles. Coincé entre les murs d?Alger, trop étroite pour lui, il subit, encore aujourd?hui, l?écrasement des années et de ses semblables. Il vit depuis si longtemps dans cet hôtel, situé à la rue Hassiba, qu?il est devenu un membre de la famille. C?est depuis 1996 qu?il y occupe une chambre de quatre mètres sur quatre, avec son épouse et ses deux enfants, «deux adultes», précise-t-il. Chaque membre de la famille souffre de quelque chose : tension, bronchite, diabète. C?est la dot exigée par cette douloureuse existence pour les membres de cette famille. «Figurez-vous que pour qu?un de mes fils change de pantalon, il doit se mettre sous la couverture», dit-il tristement. La plus grande déchirure, selon ammi Hocine, est la dislocation de sa famille. Il avait vécu, depuis 1973, dans une petite chambre d?un immeuble situé au 10, rue Ahcène-Brakbi. «Une chambre cédée par mes beaux-parents par pur humanisme», explique-t-il. Se contentant de peu, le couple avait vécu «comme tous les Algériens», dans l?espoir de jours meilleurs. Mais voilà qu?au fil du temps, même la petite chambre de la terrasse devient un enjeu et le couple est prié de céder la place. Trop fier pour marchander, ammi Hocine loua la chambre dans cet hôtel, mais entre-temps, il avait eu quatre enfants et les patrons d?hôtels sont méfiants envers les familles nombreuses. Il fallait séparer les enfants. «J?ai gardé les deux plus jeunes. Les plus grands sont restés chez leurs oncles.» De temps à autre, en période de vacances, la famille se retrouve. «Les moments les plus pénibles pour moi, ce sont les fêtes de l?Aïd. Impossible de les passer comme tout le monde», dit-il. Pourtant, ce n?est pas la volonté qui manque à ammi Hocine. Tenace, il a frappé à toutes les portes, en vain. Interrogé sur la nature des démarches entreprises, il évoque de mémoire le dernier dossier de demande de logement déposé en 1996 sous le numéro 5 590. Il attend toujours la réponse des autorités. «Je suis prêt à habiter même dans un petit chalet», dit-il pour signifier qu?il se contenterait de peu, pourvu que sa famille soit enfin réunie.