Image n Ses ablutions faites, il étend son vieux burnous rapiécé et, la face tournée vers l'Est, il fait sa prière. Charef est un vieux ksar, à 48 km à l'ouest de Djelfa. Comme toutes les vieilles agglomérations, il a son histoire et surtout ses légendes, notamment celle de sa fondation. Ce ksar a été fondé au XVe siècle par Sidi Ali ben Mahammad, venu, comme beaucoup de saints maghrébins, du mythique Sahara occidental... C'est à la fin d'une belle journée d'été que Sidi Ali arrive dans une clairière où coule une fontaine. Il a traversé les massifs boisés de Senn el-Lebba (littéralement «La dent de la lionne») qui, à cette époque, méritaient bien leur nom, la forêt pullulant de fauves et autres bêtes sauvages. Mais par la grâce de Dieu, l'homme a échappé au danger et il peut maintenant se reposer au pied de la fontaine qui sourd d'un rocher. Il pose son bâton au bout ferré et enlève son burnous. Il boit une longue gorgée d'eau, il se lave le visage puis, avant même de songer à manger quelque chose – pourtant il ressent depuis un long moment les affres de la faim — il fait ses ablutions. Il n'y a pas, dans cette région déserte, de mosquée et donc pas de muezzin pour appeler à la prière, mais à l'ombre qui a décliné fortement, annonçant le tombée de la nuit, il a compris que c'est l'heure de la prière du Maghreb. Ses ablutions faites, il étend son vieux burnous rapiécé et, la face tournée vers l'est, il fait la prière. Après la prière, il reste un long moment à faire des invocations, puis il se lève et c'est alors seulement qu'il songe à manger. Il va vers sa musette — tlélis — et tire un petit nouet où il serre son viatique : une sorte de nougat à base de farine d'orge, d'amandes pilées et de miel. C'est un aliment très énergétique puisqu'il suffit d'en manger un petit morceau pour être rassasié. Sidi Ali en aurait mangé un grand morceau tellement il avait faim, mais comme la route est longue et qu'il craint de ne pas trouver d'agglomération avant longtemps, il préfère économiser ses vivres. Il boit encore – l'eau est abondante et n'a pas besoin d'être rationnée — puis songe à trouver un endroit correct et surtout à l'abri des bêtes pour passer la nuit. Son regard tombe sur un figuier, à quelques pas de la source. Il est si haut et si épais qu'il peut se lover dans le creux de son tronc et ses branches, étendues de part et d'autre, sont pareilles aux ailes protectrices d'un oiseau recouvrant sa nichée. C'est donc là qu'il dormira, tout à l'heure, après la dernière prière de la journée, et la plus longue, el-îcha. En attendant, il s'adosse contre le figuier et, comme c'est la pleine lune et qu'on y voit comme en plein jour, il se dit qu'il peut lire. Il tire de sa musette son Coran. Un vieux livre vénérable, à la couverture en peau d'agneau et aux feuilles cousues. «Au nom de Dieu, le Clément Miséricordieux...», commence-t-il. La nature, naguère secouée de petits bruits, se tait comme pour écouter la voix qui psalmodie les saints versets... (à suivre...)