Scènes n Ils implorent, demandent aux passants quelques sous, «5 DA pour l'amour de Dieu, mon fils», «aide-moi, ma fille, pour nourrir mon bébé, et Dieu te le rendra», «aie pitié de moi mon fils», des phrases auxquelles il est difficile de résister. Le phénomène de la mendicité prend tellement d'ampleur, les mendiants sont plus nombreux de jour en jour, à tel point que l'on n'arrive plus à distinguer celui qui est réellement dans le besoin de celui qui ne l'est pas. Des décors et des scènes désolantes s'étalent partout à Alger comme ailleurs, les mendiants sont présents de l'aube au crépuscule, ils ne désespèrent pas de voir quelques dinars remplir leurs foulards ou leurs poches. De la Place des Martyrs jusqu'à la Place de la Concorde (ex-1er-Mai), ils ont investi les trottoirs et font tout pour que les passants les remarquent et peut-être leur donnent 10 ou 20 DA. La Place Maurice-Audin est un échantillon. Déjà le matin à 7 heures, les premiers mendiants sont là, plantant un décor de misère sur le trottoir. Pour inciter les passants à la générosité, chacun y va de sa motivation : quelques ordonnances pour certains et des fillettes ou garçonnets pour d'autres. Les premiers demandent de l'argent pour se soigner, les seconds pour faire vivre leur progéniture. Les passants réagissent chacun à sa façon. Farid, un jeune universitaire rencontré près de la Fac centrale à Alger, est plutôt suspicieux, «Un nombre important de mendiants est là juste pour tromper les passants», pour lui, «les vrais mendiants n'ont pas le courage de s'exhiber dans une telle situation, ils le font autrement et humblement». Toujours est-il que ces scènes qui, pour le citoyen, sont devenues habituelles, enlaidissent nos grandes villes. Devant les prestigieuses bâtisses de la capitale, à titre d'exemple, des femmes voilées pour se dissimuler des regards curieux, accompagnées d'enfants ou de bébés, sont installées tout autour des grandes avenues Hassiba, Didouche, Audin, la Grande-Poste, peu importe le lieu, pourvu que ça grouille de monde. En essayant d'approcher une dame à la rue Hassiba celle-ci, nous refoule énergiquement, pas question de prononcer un mot. Accompagnée d'un bébé, elle nous lance furieusement de loin : «Que voulez-vous que je vous dise ? Je n'ai même pas de lait pour mon enfant, vous pouvez chercher, ailleurs, celui qui m'a mis dans cette m…» Une bouteille d'eau, des vêtements usés, un sac ; des objets de fortune sont sa demeure. Sa façon de mendier n'est pas différente de celle des autres, des supplications fusent à l'adresse des passants : «Aidez-moi mes frères», leur lance-t-elle en les scrutant. «La circulation des gens près d'elle ne la dérange nullement. Pour elle, c'est le lieu propice pour mendier», nous indique l'un des commerçants du coin en nous révélant que cette pauvre malheureuse a élu domicile dans ces lieux, quelques mois auparavant. «Son bébé a grandi ici, comment voulez-vous voir ce bébé dans vingt ans, qu'attendez vous de lui ?», nous demande-t-il. En laissant cette pauvre femme affronter les affres de la misère, nous prenons la direction de la Place de la Concorde, fief des mendiants. «Ils occupent les arcades depuis longtemps», nous dit un vieux, familier des lieux. «Des femmes de tous âges, des enfants et même des adultes s'installent ici.»