C'est un lundi de septembre 1980, au bord du lac de Côme, en Lombardie. Non loin de la Suisse. Une matinée superbe, un soleil déjà haut, car il est onze heures et demie du matin, de légères brumes sur les montagnes environnantes, et un dégradé de bleus dans le ciel, en passant du bleu aigue-marine au saphir profond. Un décor de carte postale, que l'on aimerait bien contempler chaque matin, en ouvrant sa fenêtre. Comme monsieur et madame Garibaldi, comme leur fils aîné Oscar, et le petit dernier Giulio. Les Lombards, peuple germanique, sont installés ici depuis le VIe siècle. Si l'on examine un type de Lombard, Franco Garibaldi, le père, est un bon exemple. De haute taille, athlétique, brun de peau et de cheveux, les dents blanches, le sourire éclatant donc, un peu loup, et l'œil noir dans le style câlin, ou guerrier. Câlin lorsqu'il croise une jolie femme, guerrier lorsqu'il choisit une arme pour participer à un concours de tir. Franco est un champion. De nombreux trophées, gagnés à travers l'Italie, la Suisse et l'Allemagne, en font foi. Mais comme beaucoup d'amateurs de tir, c'est un calme, un paisible. Il exerce un métier de rond-de-cuir, dans l'administration où il dirige les services de la voirie. Un emploi tranquille et sans risque. Il s'y rend tous les matins, pour s'installer à son bureau, dès neuf heures, après avoir dégusté le capuccino que lui prépare amoureusement son épouse Yosépine. Yosépine est une jolie femme douce qui n'a inventé ni la poudre ni le fil à couper le beurre, et n'a qu'un dieu : son époux. Franco, devenu «Coco» dans l'intimité, est assuré d'un dévouement total, du capuccino matinal à l'apéritif du soir. Oscar, le fils aîné, seize ans, ne donne satisfaction à son père qu'en une seule matière. Il semble également doué pour le tir et a déjà remporté des tournois juniors. Pour le reste, tout le reste, c'est moins bien. Le physique d'abord. L'adolescent de seize ans ne présente pas les mêmes caractéristiques que le père. La ressemblance est là, mais en mou... Visage mou épaules molles. Il est gentil, affectueux, en bonne santé, mais il grandit difficilement. On lui donnerait à peine quatorze ans. Son menton lisse et son peu d'empressement auprès des filles désolent un peu son père. Sa médiocrité scolaire a déçu sa mère. Les parents ont sorti le gamin de l'école pour le mettre en apprentissage dans un atelier d'armurerie, puisque c'était là son seul don évident. Giulio, le dernier, neuf ans, promet davantage. Mais cette histoire le concerne peu. Sa mère l'emmène à l'école le matin, va le rechercher pour le déjeuner de midi. Il travaille bien, et joue avec le chien. La jolie villa lombarde des Garibaldi, un bien de famille, n'est pas très grande, mais admirablement située. A onze heures et demie, ce matin-là, comme tous les jours de la semaine, elle est déserte. Seul le chien ronfle au soleil, étalé sur le gravier, les pattes en l'air. Où sont donc les Garibaldi ? Yosépine est allée au marché, elle va rentrer en ramenant Giulio de l'école. «Coco» est à son bureau qu'il quittera vers midi, et sera là un quart d'heure plus tard. Oscar est à l'atelier d'armurerie, où il est arrivé comme d'habitude avec du retard. Il flâne, il traîne, la ponctualité n'est pas son point fort. En se promenant à l'étage, on pourrait constater que les chambres sont rangées, les couvertures tirées, le ménage fait. Le salon, meublé en design, laque et acier, est impeccable, les trophées du père astiqués, le carrelage luisant. Yosépine est une excellente ménagère. La cuisine est plus étrange. Propre, certes, pas de vaisselle qui traîne, pas de reliefs du petit déjeuner. Un ordre parfait où l'on remarque une installation bizarre qu'il faut décrire avec précision. (à suivre...)