Peine n Difficile de décrire le quotidien des ouvriers de chantier. C'est un véritable calvaire que vivent ces citoyens qui payent très cher leur pain. Ils logent dans des baraques improvisées et dépourvues des moindres commodités d'une vie décente. Des baraques de trois mètres carrés, construites en parpaings, des matelas souillés et sans confort sont éparpillés à même le sol, des sachets contenant les habits des ouvriers déposés aux quatre coins, les vêtements de travail pendant à des clous aux murs pas encore cimentés, les bottes en caoutchouc dégagent une odeur qui agresse les narines, des mégots éparpillés çà et là… Cet espace abrite huit ouvriers, venus de différents coins de l'Algérie profonde. «On dirait que nous sommes des prisonniers à Guantanamo», commente, d'un ton ironique, Abdelmalek, un ferrailleur venu de Khenchela. Ce jeune technicien supérieur en management, qui attend une éventuelle réponse à l'une des centaines de demandes d'emploi et autant de CV déposés auprès des entreprises publiques privées et étrangères, s'interroge : «Qu'est-ce que nous allons gagner dans toute cette misère ? ni notre santé, ni argent, ni avenir… Allah ghaleb, nous sommes des damnés de la terre. J'ai eu mon diplôme depuis plus de sept ans et croyez-moi, j'ai perdu tous les repères de ma formation.» Notre interlocuteur estime qu'il est aujourd'hui condamné à continuer à travailler comme ferrailleur. Il est dur d'entamer une journée hivernale en abordant la ferraille glacée sans porter des gants, mais la survie impose ainsi son diktat à ce jeune de 33 ans et les milliers de ses semblables. Les nuits glaciales des mois d'hiver accentuent davantage la détresse des employés des chantiers. Ils ont recours à des résistances de fortune pour se chauffer. Les violations du code du travail dans ce secteur sont monnaie courante. L'écrasante majorité des ouvriers travaille au noir et ceux qui bénéficient de la sécurité sociale nous ont indiqué qu'ils ne sont pas payés pour les week-ends et les autres jours fériés. L'avenir de ces milliers de citoyens reste obscur. En cas de maladie ou d'invalidité, ils devront tendre la main pour survivre ! C'est ainsi que leur rêve le plus cher est de rester en bonne santé tant qu'ils sont en vie. Da Mokrane, manœuvre, quinquagénaire et père de sept enfants, nous confie avec un sourire de résignation que sa famille ne subsiste que grâce à la bénédiction divine. «Les 6000 DA que j'arrive à épargner péniblement chaque mois et les quelques sous que je gagne en vendant du tabac n'auraient servi à rien, n'eût été la bénédiction divine.» Son rêve se résume ainsi à rester en bonne santé jusqu'à ce que sa progéniture grandisse et qu'elle puisse se prendre en charge. Les jeunes ouvriers, quant à eux, rêvent de trouver un emploi stable et permanent, ce qui leur permettrait de mener une vie décente. Quant aux universitaires, ils rêvent de quitter le pays pour des cieux plus cléments. Tant que le rêve est permis… !