Les disparitions d'enfants signalées, épisodiquement, çà et là dans notre pays, outre les drames familiaux et les déchirements qu'elles ne manquent pas de créer, alimentent les rumeurs les plus folles et les plus sordides. Semant une psychose au sein de la population, ces rumeurs ont toujours trait à des réseaux de trafic d'organes, qui seraient derrière le kidnapping de ces enfants. Depuis la disparition de leur petit Yacine, le 2 mai 2007, alors qu'il jouait tout seul à quelques mètres du domicile parental, à la cité 224-logts, Bt n°24, à l'entrée est de Bordj El-Kiffan, la famille Bouchlouh a perdu le goût de vivre. Pis encore, elle vit la déchirure. «On ne dort ni la nuit ni le jour. Moi, je ne me retrouve plus. Je ne travaille plus, je suis profondément perdu, bouleversé.» Perdu dans la tourmente d'un père meurtri dans sa chair, Youcef n'a d'autre refuge que les larmes abondantes, qui ne peuvent, cependant, lui épargner la brûlure des stigmates béantes. Déjà dans le déluge de Bab El-Oued, il y a six ans, les flots en furie emportaient à jamais un des Bouchelouh, précisément l'oncle de Yacine. C'est écrit que dans le ventre de maman, bébé avait le prénom déjà choisi. «A sa naissance, tout le monde était aux anges. Surtout mon père. Il l'aimait plus que tout autre au monde car cela lui rappelait Yacine. Il l'emmenait avec lui, là où il allait. Il le faisait dormir chaque nuit avec lui, mais depuis qu'il n'est plus là, mon père est malade, dévoré par le chagrin», s'effondre Youcef qui n'arrive plus à prononcer des mots hachés par l'émotion. Dans ses yeux, toute vie s'est éteinte. Depuis la disparition du petit, ses traits se sont durcis. Tenir le choc est son combat aujourd'hui. Youcef veut résister. Parole du cœur : «Je ne le souhaite pas à mon pire ennemi.» Maintenant, en attendant la délivrance, il a sa femme, foudroyée il y a quelques jours par un pic de tension : 18 ! Il a Feriel, 8 ans et Fatma-Zohra, 1 an et demi qui donnent des coups de pied dans le ballon de Yacine, laissé comme «testament» d'un enfant adorablement diablotin. Le père a surtout un cœur débordant de générosité pour ramener, un jour, Yacine à la maison. «Chaque jour qui passe a l'allure d'un siècle, d'une éternité. Tout est vraiment lourd. Mais j'attends un jour où l'espoir va apparaître. J'en suis certain.» Cette dose de courage, Youcef la puise auprès de ses voisins qui chaque jour viennent au chevet de la famille. Aider et assister, ne serait-ce que par des mots qui soulagent et qui vont droit au cœur. L'autre réconfort vient de ces anonymes qui appellent de Saïda, d'Alger, de Djelfa, de Skikda, d'Oran, d'El-Bayadh, de Tizi Ouzou, de Mostaganem et bien d'autres régions du pays pour lui souhaiter courage et l'assurer d'une profonde compassion. «Des personnes que je ne connais pas sont venues me voir et m'ont dit être prêtes à payer une rançon s'il s'avère que mon fils est entre les mains de ravisseurs, si ces derniers se manifestent», affirme-t-il, reconnaissant. Mais s'il y a des gens qui, dans leur altruisme et charité, ne font jamais de calculs dans ce genre de situation, et qui dans leur âme sensible font montre d'une bonté de cœur à toute épreuve, il existe en revanche une frange de personnes sans scrupules, sans foi, ni loi, qui se permettent l'ignominie de prendre la douleur d'autrui pour un objet de farces et de moqueries, avec comme toile de fond, les rumeurs les plus folles. En dépit de ces bêtises, en dépit d'une douleur qui ronge ses tréfonds, Youcef garde espoir et prend soin de lui. pour son fils.