«Qui est là ?» La voix de Susan vient de remplacer le flot bruyant de la douche. Dans le silence brutalement revenu, elle vient de percevoir un léger bruit, un frottement elle ne sait pas quoi au juste, mais elle a senti immédiatement une présence. «Qui est là ?» Tout en répétant «qui est là ?» Susan a une sueur froide. Mis à part deux personnes qu'elle connaît parfaitement bien, et pour cause, personne n'a la cIef de son appartement. La première personne est son amant, or elle l'a quitté il y a une heure, à l'aéroport il partait pour Londres. La seconde personne est sa femme de ménage, or il est minuit et ce n'est pas son heure. «Qui est là ?» C'est idiot de rester sous la douche, complètement nue, à crier qui est là. Susan attrape un peignoir, mais, au moment d'avancer vers la porte qui donne dans le salon, elle hésite. Dans la salle de bains, la lumière est vive ; dans le salon, juste une lampe à l'écIairage tamisé. Si elle avance dans l'encadrement de la porte, elle représentera une cible parfaite. C'est ce qu'elle pense avec étonnement : «Une cible... pourquoi une cible ? Je suis complètement stupide ! Comme si quelqu'un allait me tirer dessus ! Il n'y a personne au salon, c'est impossible. Je l'aurais vu en entrant, ma chambre est de l'autre côté de la salle de bains et j'y étais tout à l'heure. La cuisine, j'y ai bu un verre d'eau, donc il n'y avait personne quand je suis entrée, personne n'est entré en même temps que moi, j'ai fermé la porte à cIef. J'habite au douzième étage, les fenêtres sont fermées pas d'autre porte, donc je suis seule, donc il n'y a personne, et j'ai rêvé. Alors, qu'est-ce que je fais là, à me glacer de peur en demandant : «Qui est là ?» Elle l'a quand même répété, comme une conjuration, en avançant brusquement vers la pénombre du salon. Et c'est à ce moment-là que la porte d'entrée cIaque avec un petit bruit. Cette fois-ci, elle a hurlé en se précipitant dans la salle de bains. Fermer la porte, tirer le verrou lui prend une demi-seconde. Elle tremble et cherche désespérément une arme pour se défendre. Mais quoi ? La salle de bains luxueuse n'offre que de ridicules flacons de parfum et de poudre, des brosses, des éponges, tout un arsenal d'une douceur désespérante. Et il est ridicule de se réfugier dans la baignoire comme elle le fait. Une baignoire n'a rien d'un blockhaus. La brosse au long manche d'ivoire ne sert qu'à frotter le dos. Susan, la somptueuse et ravissante Susan, pleure d'angoisse, recroquevillée dans sa baignoire, et tous les miroirs alentour lui renvoient son image en spectateurs indifférents. Qui est là ? Personne. Susan Rooney a appelé la police à six heures du matin. La police est donc là, sous la forme de deux inspecteurs patrouillant dans ce quartier de BaItimore et que le central a expédiés chez elle. Ils écoutent patiemment. «Alors, je me suis enfermée dans la salle de bains et je suis restée là, tout ce temps. J'ai cru mourir de peur. Vous avez encore entendu du bruit ? — Non... plus rien. Donc la personne est sortie au moment où la porte a claqué. Il n'y avait plus de danger. Vous auriez dû appeler à ce moment-là. On aurait eu une chance de le coincer dans les alentours. Mais je n'étais pas sûre qu'il soit parti. La porte a cIaqué, bien sûr, mais sur le moment, je ne savais pas si quelqu'un était sorti ou entré, vous comprenez ? J'étais effrayée et après je n'osais plus sortir de la salle de bains, j'attendais le jour.» Les policiers inspectent l'appartement, appréciant la simplicité luxueuse de l'ameublement. (à suivre...)